L’HOMME QUI DESARTICULE LES ROBOTS
Lauréat du prix Ernest-Déchelle 2020 de l’Académie des sciences, ce roboticien travaille sur une nouvelle espèce de robots constitués de matières souples et déformables, et non plus totalement rigides.
Oubliez les androïdes, ces automates articulés à forme humaine qui ont fait les belles heures de la science-fiction, d’Isaac Asimov à Star Wars. Les robots de Christian Duriez sont mous, et même très mous. Et c’est exactement pour cela qu’il a décroché le prestigieux prix ErnestDéchelle 2020 de l’Académie des sciences. « L’idée est que le fonctionnement des robots ne passe plus par un système articulaire, mais par des déformations, résume le chercheur de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria). C’est comme si nous passions des vertébrés aux invertébrés. »
Une nouvelle espèce, en somme. Même si Christian Duriez a dû quelque peu batailler pour la faire accepter par la « vieille école de la robotique » qui considérait depuis longtemps que les robots devaient forcément avoir des articulations. Avant, ils étaient faits pour éviter les obstacles, alors que les siens peuvent et doivent s’y heurter sans problème. Certes, la modélisation des mouvements par déformations s’avère « bien plus complexe que celle des robots à articulation », souligne le chercheur, et nécessite un développement logiciel des plus élaborés pour les contrôler, ainsi que de nombreuses expérimentations. Mais, par leur nature même, ses machines multiformes ouvrent de nouvelles perspectives dans de nombreux domaines, à commencer par celui de la santé.
DES MACHINES À DISSÉQUER. Car c’est justement pour éviter les tests sur les animaux ou les cadavres dans les écoles de chirurgie que Christian Duriez commence à s’intéresser à la création de robots souples, par opposition à ceux fabriqués avec des matériaux durs. Lors de son stage postdoctoral à Boston (ÉtatsUnis), au sein du Simulateur Group du Cimit, un réseau d’établissements universitaires et médicaux, il conçoit ainsi des machines simulant les différentes conditions auxquelles sont confrontés les chirurgiens lors des opérations. Un intérêt qui le pousse à fonder, sept ans plus tard, avec cinq collègues de l’Inria, Insimo, une start-up strasbourgeoise (Bas-Rhin) concevant des robots avec des commandes à retour de force – un peu comme les manettes des nouvelles consoles de jeux PlayStation 5 de Sony et Xbox Series de Microsoft –, pour apporter une forme de sensibilité tactile aux chirurgiens qui les pilotent, et des logiciels à destination du corps médical.
Ses travaux l’amènent aussi à collaborer avec l’entreprise normande Robocath, spécialisée dans les solutions robotiques pour le traitement des maladies cardiovasculaires. Il développe notamment un appareil en forme de tube servant à pousser un cathéter dans le corps humain. «Normalement, c’est au médecin de s’en charger, aidé en cela par un appareil qui émet des rayons X pour suivre la progression du dispositif dans les artères, commente le chercheur. Avec un robot souple, il peut le faire à l’aide d’une télécommande, à distance et en étant donc moins confronté aux radiations. »
INCASSABLE ET TOUT-TERRAIN. Fort de ses succès, et parce que d’autres secteurs d’activité commencent à s’y intéresser – «l’industrie agroalimentaire et le secteur militaire », cite-t-il – Christian Duriez peut élargir ses champs de recherche. En 2015, il prend la tête du projet Defrost (pour deformable robotic software) qui regroupe des personnes travaillant à la conception, au contrôle et à la fabrication de robots déformables. Cette équipe, commune à l’Inria et au Centre de recherche en informatique, signal et automatique de Lille, ne se concentre plus uniquement sur les applications à la médecine et prend en compte de multiples possibilités. Équipées de caméras, leurs machines peuvent se prêter à toutes sortes d’activités comme l’inspection de tuyaux, de cloisons ou encore de zones dangereuses. Elles peuvent amortir la plupart des chocs et, fabriquées en silicone, sont incassables même dans les milieux les plus hostiles. Bref, il y a du potentiel. Mais plutôt que de spéculer sur les Terminator de demain, Christian Duriez s’intéresse surtout aux services que ses machines pourraient bientôt nous apporter dans la vie de tous les jours, à commencer par « nous servir du café », plaisante-t-il.