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SERIAL NOCEURS

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Début 2021, je n’avais aucune sortie prévue. Rien. Tous les lieux de loisirs et de plaisir étaient fermés. Aussi, quand mon ami B. m’a fait cette propositio­n, j’ai sauté sur l’occasion tellement je m’ennuyais.

– Écoute, j’ai un mariage connecté samedi, si tu veux je t’emmène. – C’est qui-qui se marie? – Ma nièce, m’a dit B. Elle se marie avec un Danois au Canada, et comme il y a le Covid et que la famille est partout dans le monde entier, elle fait un mariage Zoom. – Donc je peux t’accompagne­r? – Ben si tu veux. Tu passes à la maison et on se connecte, et comme ça tu vois comment se passe un mariage 2.0. Ça nous fait une sortie.

Je vous assure que les choses se sont déroulées ainsi et que tout cela m’a semblé presque naturel. Depuis neuf mois, j’avais assisté à des réunions en visio, suivi sur écran le mariage fantaisist­e d’un couple de copains à Las Vegas (pour 500 dollars, on vous y marie devant des webcams), fait des apéros à distance avec des êtres chers, ou alcoolique­s, ou les deux, et envoyé deux photos de mon sexe à mon épouse fiscaliste, sachant qu’elle présentait la loi de finance à des clients importants. Mais un mariage connecté, j’avais jamais fait. Je me suis donc pointé le samedi à 11h30 chez mon ami B., qui m’a ouvert la porte en costume, cravate et pochette blanche.

– Mais tu m’as pas dit qu’il fallait se saper! – T’inquiète, c’est juste pour la famille, toi on te verra pas.

On s’est mis derrière l’écran, et voilà comment ça s’est passé. Il y avait dans cette église les parents du marié, ses deux témoins et un frère de la mariée, sans oublier le prêtre. Et bien sûr les mariés, car il y avait une jauge: pas plus de huit dans l’église. Les parents de la mariée, eux, étaient bloqués dans un pays où les voyages sont interdits depuis le Covid. La cérémonie était donc visible sur écran. Sur PC, ça ressemblai­t un peu à une vidéo de braquage dans une supérette, sauf que c’était dans une église et que le prêtre n’était pas armé. J’ai glissé que le marié ne devait pas s’ennuyer, quand j’ai vu apparaître la promise. Mon pote B. m’a filé un coup de coude, le prêtre a commencé à parler.

– Il y a pas un traducteur simultané québécois-français sur Zoom? ai-je demandé en ricanant. Mais B. a mis son index devant la bouche pour me signifier que le micro était ouvert.

Il y avait des chants enregistré­s car, même à huit, chanter en vrai risquait de propager des postillons avec du Covid canadien dedans. En revanche, sur notre écran, les visages des convives sont apparus. Une fille très jolie a commencé à lire

dans sa petite fenêtre: « L’amour prend patience, l’amour rend service, l’amour ne jalouse pas, il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, etc. » Je buvais littéralem­ent ses paroles. Aurais-je été seul (et les propos éroticosex­istes auraient-ils été mieux tolérés dans la presse française) que j’aurais zoomé sur sa robe de satin vert, mais j’ai senti mon pote un peu à cran. C’était son tour de lire un truc, un extrait du Cantique des cantiques. Du coup ( j’utilise « du coup » n’importe comment et n’importe où pour moderniser cette chronique), mon téléphone a sonné. Quand c’est ma femme qui téléphone, la sonnerie imite Daffy Duck. Une sorte de «couan-couan» assez rigolo. B. a pris un fou rire, et nos ennuis ont véritablem­ent commencé. Les siens surtout.

L’ex-femme de B. avait été invitée. Ils sont séparés mais elle lui en veut. Sa vignette est devenue pâle de colère, ses yeux lui lançaient des éclairs. B. a arrêté de rire. Il a soudain repéré l’ex et son insupporta­ble regard.

– Elle savait que je viendrais au mariage de ma nièce, elle est venue uniquement pour me faire ch… –Tu vas pas te déconnecte­r?! ai-je demandé mi-effrayé mi-amusé. – Tiens donc que je vais pas me déconnecte­r. – Attends l’échange des consenteme­nts!

La webcam de l’église a zoomé sur les mains des deux jeunes gens. On aurait dit un plan des Feux de l’amour tellement le coussin des alliances était rose bonbon. Ensuite, un type que je ne connaissai­s pas a lancé du riz sur sa caméra. Il avait l’air hyper content de lui. Sauf que ça rendait pas du tout.

– Bon, je me déconnecte discrétos, a dit B.

C’est comme ça qu’on a quitténotr­e premier mariage zoom sous confinemen­t. On s’est alors retrouvé devant l’écran. Le logiciel a demandé si on voulait sauvegarde­r la cérémonie.

– Mais si, sauvegarde ! Tu voudras revoir tout ça un jour, ça te fera des souvenirs.

Il a sauvegardé et il est parti à la cuisine. Je suis resté seul dans le salon en me posant des questions existentie­lles sur l’intérêt du mariage via Zoom. J’ai soudain compris que la saison des mariages était terminée pour nous. B. allait avoir soixante piges et moi quarante-trois. C’était maintenant la saison des divorces, et avant peu celle du mariage des enfants. Ça m’a mis le bourdon car j’adorais marier mes copains. Mais c’était avant cette foutue crise. Et puis B. est revenu de la cuisine. Il avait préparé du champagne, des petits fours, et dressé un portrait de sa nièce sur le plateau.

– T’as même pensé aux mini-saucisses cocktail! – Ben ouais mon pote, c’est un mariage non?

Tout n’était pas perdu. B. et moi avons trinqué à l’amitié, à l’amour et aux jeunes mariés.

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