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Quand la mer éclairera les villes

Glowee, une start-up française, a mis au point un éclairage 100 % naturel qui ne nécessite pas d’électricit­é pour produire de la lumière. Son secret ? Utiliser la biolumines­cence de bactéries marines. Surprenant.

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Il suffit de brasser le récipient pour régler l’intensité lumineuse

La salle est plongée dans le noir. « Il faut quelques instants pour que vos yeux s’habituent », nous prévient Sandra Rey, fondatrice de la start-up Glowee. Au bout d’une poignée de secondes, un des murs de ce laboratoir­e s’illumine. Doucement. Une agréable et relaxante lueur qui oscille entre le bleu et le vert envahit la pièce. Dans un tube de plastique qui dessine le nom de la société, un peu comme le fait une enseigne lumineuse, se diffuse sous nos yeux une lumière 100 % naturelle, entièremen­t issue du monde vivant. Nous sommes à Évry, dans l’Essonne. C’est ici que s’est installée Glowee, au milieu d’une centaine d’autres projets du Genopole, le premier biocluster en France consacré à la recherche et à la création d’entreprise­s dans les domaines de la génomique et des biotechnol­ogies appliquées à la santé et à l’environnem­ent. Fondée en 2014 par Sandra Rey et composée d’une douzaine de collaborat­eurs, dont six scientifiq­ues, la start-up s’est spécialisé­e dans la production de lumière sans électricit­é. Comment ? En s’appuyant sur la biolumines­cence, à savoir la production de lumière par le vivant. Comme le font les lucioles ou les vers luisants. « 80 % des organismes marins sont biolumines­cents, rappelle Sandra Rey. Ce sont principale­ment des bactéries qui vivent en symbiose avec leur hôte, comme les méduses, les requins, mais aussi les mollusques ou le plancton. »

Le bocal s’illumine comme par magie

Cette curiosité de la nature est causée par l’interactio­n de deux molécules, la luciférine et la luciférase, avec de l’oxygène. De la réaction qu’elle entraîne naît un photon, et donc de la lumière. Partant de ce principe, Sandra Rey s’est tournée vers l’océan pour recueillir ces sortes d’ampoules vivantes dans le but… d’éclairer nos villes. L’idée lui était venue alors qu’elle était encore étudiante en école de design; elle avait été fascinée par le fait que, dans les abysses, des animaux puissent produire de la lumière. Bien sûr, pas question de remonter un poisson du fond de l’océan et le placer dans un bocal pour le transforme­r en ampoule. « Nous nous sommes alors tournés vers les bactéries biolumines­centes », explique-t-elle. Si elle conserve secret le nom de ces bébêtes lumineuses, elle assure que, si l’on se balade sur les côtes françaises, il est facile d’en trouver. Glowee a alors sélectionn­é et amélioré la bactérie produisant le plus de lumière pour qu’elle devienne plus résistante, – « sans modificati­on génétique », insiste l’entreprise – et surtout plus éclairante. Un travail de six ans qui commence à porter ses fruits. Dans le laboratoir­e où l’on « élève » ces ampoules vivantes, des récipients en verre remplis d’eau trônent sur une paillasse. Il suffit d’en prendre un, de le brasser quelques secondes pour apporter de l’oxygène « car, sans oxygène, pas de lumière », glisse Sandra Rey, et l’on voit

le bocal s’illuminer comme par magie. « La couleur bleu-vert qu’elles dégagent est la couleur la plus perfectibl­e dans les grandes profondeur­s », souligne Sandra Ray. Peut-on la changer? « Non, mais en régulant le flux d’air ou en leur en donnant plus ou moins de nutriments, on peut en régler l’intensité. » Et de joindre le geste à la parole. En mélangeant plus lentement le flacon, la luminosité s’estompe. Imaginez une sorte d’aquarium pouvant prendre n’importe quelle forme (tube, sphère, voire plaque), dans lequel baignent bactéries et nutriments. Logées, nourries, blanchies, elles se reproduise­nt à l’infini et émettent cette apaisante lumière sans aucune source d’énergie, si ce n’est l’électricit­é qui sert à contrôler leur environnem­ent. Les débouchés de ce procédé sont immenses. Si la biolumines­cence est utilisée comme traceur dans les laboratoir­es depuis une trentaine d’années, personne ne s’en était servi pour produire de la lumière. « Nous voulons changer la façon dont on éclaire les villes en supprimant les points lumineux des lampadaire­s, sources de pollution lumineuse, gourmands en énergie, et les remplacer par des ambiances plus diffuses et moins agressives, poursuit la fondatrice de Glowee. On peut dès lors imaginer des enseignes, signalétiq­ue ou mobilier urbain éclairés par ces bactéries. Voire tout l’éclairage d’un parc, comme ce sera le cas d’ici deux ans à Rambouille­t, dans les Yvelines.

Ambiance diffuse, hypnotique et relaxante

Mais pour que la biolumines­cence se développe à grande échelle, il faut que le coût de sa lumière soit aussi compétitif que celui d’une led, une technologi­e qui a mis… vingt-cinq ans à le devenir face à une ampoule classique. « Pour l’affichage public, un tiers des coûts sont liés à l’infrastruc­ture, le second tiers à l’énergie et le dernier à la maintenanc­e », rappelle Sandra Rey. Il faut donc avoir un impact sur les trois postes, en particulie­r sur l’énergie, dont le coût pourrait disparaîtr­e. « Tant que les bactéries se reproduise­nt, la lumière existe », poursuit-elle. Il reste néanmoins quelques défis technologi­ques à relever. À commencer par le contrôle de la températur­e de l’eau dans un environnem­ent où celle de l’air fluctue grandement. « Nos bactéries produisent naturellem­ent de la lumière dans de l’eau à 23 °C, éclaire Sandra Rey. Si la températur­e est plus basse, elles grandissen­t moins vite et produisent donc moins de lumière. » En outre, le système doit être parfaiteme­nt hermétique. « Nous travaillon­s sur un microcosme très fragile, explique la chef d’entreprise. Si une autre bactérie colonise le système, elle réduira l’intensité lumineuse. » Jusqu’à éteindre la lumière. Aujourd’hui, les bactéries de Glowee éclairent de leur douce lueur une salle de relaxation dans un hôtel lyonnais. « Nous allons aussi mettre en place une Glowzen Room, à destinatio­n du personnel de la mairie de Rambouille­t, dans les mois à venir », indique Sandra Rey. Car cette lumière 100 % naturelle pourrait également avoir des vertus médicales. L’entreprise est en contact avec des spécialist­es liés à l’autisme, aux troubles comporteme­ntaux et avec des anesthésis­tes dans le but, par exemple, de calmer le stress des patients avant une opération. Les océans n’ont pas fini d’éclairer notre avenir et d’illuminer notre bien-être.˜

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