Les métiers du digital résistent à la crise
Conséquence de la généralisation du télétravail et de la digitalisation de nos vies, véritable tendance de fond, les métiers du numérique gardent le cap. Secteur le plus porteur avant la pandémie, il est aussi celui qui offre le plus de possibilités d’embauches et de formations pendant la crise.
Ce n’est pas Byzance, mais pas la bérézina non plus. Selon l’Opiiec (Observatoire des métiers du numérique, de l’ingénierie, du conseil et de l’événement), les métiers du numérique tirent leur épingle du jeu, comparativement à ceux de l’ingénierie, du conseil et de l’événement. Ainsi, en 2020, malgré une baisse du chiffre d’affaires de 8 % pour le numérique, les effectifs ont augmenté de 1 % dans ce secteur. Pour 2021, l’étude avance une contraction de 1 % du chiffre d’affaires et des effectifs en hausse de 2 %. Pour 2022, les prévisions indiquent 5 % de hausse du chiffre d’affaires et autant pour les effectifs. Le secteur du conseil a, lui, vu son chiffre d’affaires baisser de 18 % et ses effectifs de 2 % en 2020, tandis que l’événement connaissait une baisse de 42 % de son chiffre d’affaires et de 10 % de ses effectifs.
Carine Seiler, haut-commissaire aux compétences, avance un autre constat qui justifie la bonne dynamique du numérique : « Le financement des pépites tricolores ralentit, sans pour autant stopper sa croissance, selon le baromètre EY du capital-risque en France publié en mars 2021. Le montant total des fonds levés par les start-up en 2020 a progressé de 7 % pour s’établir à 5,39 milliards d’euros, un record. Mais la croissance reste bien en deçà des années précédentes, de 39 % et 41 % en 2019 et 2018. »
C’est un peu l’histoire du verre à moitié vide. Mais lorsque l’on jette un oeil sur les évaluations boursières des géants et des licornes du numérique, le verre déborde. Jamais les Gafam
ne se sont aussi bien portés en bourse que depuis la crise sanitaire. Par exemple, Amazon pesait 882 milliards de dollars (soit 743 milliards d’euros) au 30 octobre 2019. L’entreprise de Jeff Bezos dépassait les 1500 milliards de dollars (soit 1264 milliards d’euros) au 31 mars 2021. Idem pour Alphabet, la maison mère de Google. Elle était valorisée 869 milliards de dollars (soit 732 milliards d’euros) au 30 octobre 2019 et approchait les 1400 milliards de dollars (soit 1179 milliards d’euros) au 31 mars 2021. Dans la même lignée, mais avec moins d’outrance, une étude de Pôle emploi de janvier 2021 affirme que six entreprises françaises sur dix, représentant 70 % des salariés, expriment le besoin de développer les compétences numériques de leur main-d’oeuvre.
Des disparités au sein des métiers du numérique
La digitalisation de l’économie est en marche, et le développement du télétravail en raison de la Covid-19 accentue ce phénomène. En France, la volonté du gouvernement, avec le plan de relance qui fait la part belle au numérique, à la transformation digitale de la formation et au concept de startup nation, accompagne cette tendance.
Il convient toutefois de préciser qu’il existe des disparités au sein des métiers du numérique. Neila Hamadache, déléguée à la formation au Syntec Numérique (l’un des syndicats professionnels de l’industrie du numérique), informe que « si les éditeurs de logiciels ne connaissent pas la crise et maintiennent une croissance positive sur 2020, ceux de services numériques sont plus ou moins impactés en fonction de l’arrêt ou pas de l’activité de leurs clients, tandis que les entreprises de conseil en technologie souffrent le plus
« Des métiers émergent, comme ceux de l’IA et de la cybersécurité »
Philippe Zymek, directeur d’agence Pôle Emploi
de la situation car elles travaillent avec de grands donneurs d’ordre dans l’automobile et l’aéronautique notamment, et nous savons que ces secteurs éprouvent de grandes difficultés ».
Un manque de candidats mais une offre de formations variée
Les métiers du numérique sont donc toujours sous tension et manquent de candidats pour couvrir les besoins du secteur. Philippe Zymek, directeur de l’agence Pôle emploi de MeximieuxMiribel (dans l’Ain), annonce qu’« il manque 1 000 personnes formées par an en Auvergne-Rhône-Alpes ». Au niveau national, Carine Seiler précise qu’« en l’an 2000, il y avait 80 000 emplois dans le secteur. Pôle emploi estime qu’en 2022, il y a un potentiel de 200000 recrutements à venir dans le numérique ». Philippe Zymek constate : « Des métiers émergent, comme ceux de la cybersécurité avec la multiplication des attaques informatiques depuis le début de la crise, mais aussi ceux de l’intelligence artificielle et de l’analyse de données, tandis que les métiers de la maintenance se développent fortement également. »
Les emplois ne sont aussi plus réservés aux seuls bac+5 et docteurs, même si, comme le souligne Carine Seiler,« la formation initiale, et notamment les grandes écoles ou les troisièmes cycles universitaires, sont une clé d’entrée vers les métiers les plus qualifiés. Même dans le design, l’offre est en train de se structurer rapidement, et plusieurs écoles font déjà référence ». Toutefois, l’offre de formations aux métiers est très variée et accessible à tous. « Elle permet à toute personne, peu importe son niveau de qualification ou sa connaissance du numérique, d’accéder aux différents métiers, même si, ne rêvons pas, on ne forme pas un spécialiste en cybersécurité ou un data scientist en trois mois, souligne Neila Hamadache. Les formations s’adaptent donc à leur public. Ainsi, notre secteur a accompagné 25 000 demandeurs en 2020, avec un taux de retour à l’emploi qui frôle les 90 %. »
D’autres actions voient le jour pour former un public qui n’a pas de diplôme d’ingénieur en poche. Carine Seiler en énumère certaines : « Le PIC (Plan d’investissement dans les compétences) s’est donné pour objectif de former des personnes qui sont en difficulté sur le marché du travail, les jeunes, notamment ceux qui ont quitté l’école prématurément, et les adultes insuffisamment qualifiés. La Grande école du numérique a, elle, formé plus de 16000 personnes peu ou pas qualifiées. N’oublions pas la formation ouverte et à distance (FOAD) ainsi que celles des régions ou de Pôle emploi, qui sont des solutions pour amener le public vers ces métiers de production numérique. »
Curiosité, innovation et capacité d’apprendre sont appréciées
« Dans le cadre du plan de relance, le programme #TousMobilisés invite chaque agence de Pôle emploi à organiser des réunions entre les entreprises qui recrutent, notamment dans le numérique, et les demandeurs », relate Philippe Zymek. Le directeur d’agence Pôle emploi conte ainsi le parcours « d’une personne qui était mal dans sa peau, peu sûre d’elle, qui parlait mal le français, peu qualifiée et qui s’est littéralement “trouvée” lors d’une formation dans le numérique. Elle a achevé son apprentissage il y a trois semaines et elle en est sortie transformée, au point qu’elle possède aujourd’hui plusieurs contacts avec des entreprises pour s’engager dans un travail ».
Cette histoire s’apparente à un conte de fées, mais si les candidats à l’emploi veulent mettre toutes les chances de leur côté, ils devraient se diriger vers l’informatique et les mathématiques, qui demeurent les matières essentielles à une carrière dans le numérique, même si les compétences dures diffèrent d’un métier à l’autre. En revanche, Neila Hamadache considère que « c’est sur les soft skills (les compétences comportementales) que l’on retrouve des constantes comme la curiosité, l’innovation et la capacité d’apprendre ».
La société se numérise. Chacun a le choix entre monter dans le train ou le laisser passer. Travailler dans le digital, c’est limiter les incertitudes. Un luxe, dans la période actuelle.z