Les start-up au secours des entreprises
Ils ont monté leur société dans la tech ou digitalisé leur activité, et la crise sanitaire a précipité cette mue numérique. Contre vents et marées, ces entrepreneurs continuent d’ouvrir le champ des possibles.
On s’est retrouvés du jour au lendemain à la maison », se rappelle Constance Saint-Jullian, 33 ans, nommée directrice de la Business Unit Banque de Meritis au tout début de la pandémie. À peine promue, elle a dû repenser l’activité de ce cabinet de conseil spécialisé dans la transformation digitale des entreprises. Sa principale difficulté a été, concède-t-elle, de « maintenir le lien, de fédérer et rassurer ses collaborateurs au quotidien ». Le logiciel de visioconférence et de partage de fichiers Microsoft Teams, intégré à la suite Office, a été en cette période « la clé du travail en groupe », détaille la jeune femme. Il leur a même permis de trouver de nouveaux clients qui utilisaient eux aussi la plateforme collaborative, se révélant un complément de choix aux appels prospectifs classiques.
Il est en effet « difficile de décrocher son téléphone lorsqu’on est tout seul chez soi, explique Constance SaintJullian, alors qu’il faut, au contraire, absolument maintenir le lien. » Là, ce sont d’autres formes d’outils qui entrent en jeu, comme la contribution de tous à l’élaboration d’une « playlist musicale », ou « des jeux » à distance, afin de « réanimer le quotidien ».
Et si, au bout du bout, les confinements, la distanciation sociale et le télétravail imposés étaient l’occasion de se réinventer? Certes, l’assertion ne pèse pas lourd face au recul de 8,3 % du PIB sur l’ensemble de l’année 2020*, et aux faillites annoncées lorsque les prêts garantis par l’État devront, sauf ordre contraire, être remboursés. Constance Saint-Jullian, cependant, tire de nombreux enseignements de la période. D’abord, et c’est selon elle le plus important, les
équipes ont montré « une belle cohésion ». Ensuite, les difficultés ont conduit à envisager « différemment le métier, à traiter plus simplement et rapidement certains processus ».
De jeunes développeurs innovent pour les petits producteurs
Qu’un cabinet spécialisé dans la transformation digitale des entreprises s’adapte à la nouvelle donne sanitaire semble la moindre des choses. Mais qu’en est-il des producteurs, des artisans et des commerçants? Comment les aider à écouler leurs produits? Julia Maadini, 24 ans, détient une partie de la réponse. Carte Carotte, la plateforme qu’elle développe avec son frère Matéo, 22 ans, met directement en relation producteurs et consommateurs, en privilégiant les circuits courts. Ainsi, les uns se procurent des aliments de qualité et écoresponsables, tandis que les autres s’ouvrent de nouveaux débouchés.
Julia Maadini est partie du constat que « les agriculteurs, qui ne sont ni des commerciaux ni des communicants », peinaient à numériser leur activité, évaluant pour eux la création d’un site web à « au moins 1 000 euros », sans oublier les « 150 euros mensuels d’entretien, qui ne comprennent pas de stratégie efficace en termes de référencement web ». À l’inverse, les agriculteurs ne payent rien pour s’inscrire sur Carte Carotte, qui ne perçoit qu’une commission de 4 % sur les commandes, « équivalente aux frais de services et bancaires ». Seuls les magasins de producteurs, uniques intermédiaires autorisés, y souscrivent un abonnement.
Vincent Naigeon, 35 ans, fondateur de Masterbox, une plateforme spécialisée dans les coffrets cadeaux de créateurs et d’artisans, confirme l’analyse de Julia Maadini : « Les petits producteurs ont du mal à se faire connaître
et certains vont jusqu’à payer 20 000 euros pour un site internet qui, en l’absence de trafic, ne leur rapporte rien du tout. » L’informaticien relève leur « manque de connaissances et de compétences », un budget souvent sousévalué par rapport à un projet qu’ils ne savent pas par quel bout prendre.
Des plateformes très sélectives
Le Château de Guimberteau, producteur d’un grand vin de Lalande-dePomerol, un bordeaux, n’a pas attendu Masterbox pour créer son site internet. Mais le portail de Vincent Naigeon s’avère « un bon partenaire qui donne une excellente image du domaine », selon Karine Guimberteau, propriétaire de celui-ci avec son mari Jeffery (tous deux sont quadragénaires). La plateforme de coffrets-cadeaux trie ses produits sur le volet, s’assurant qu’ils soient à la fois « qualitatifs, fabriqués et transformés sur le territoire français ». Or Karine Guimberteau revendique la qualité de sa production : « C’est plus que de l’agriculture raisonnée, nous n’utilisons que des engrais naturels et nous vendangeons à la main. » De quoi passer sans problème les tests de Masterbox : pour ultime vérification, elle a dû envoyer des échantillons à l’équipe gérant la plateforme ainsi qu’à un panel de consommateurs.
La place de marché se charge aussi de l’expédition des produits, les artisans se contentant de répondre aux commandes de leurs clients via l’interface, puis d’imprimer les bons d’expédition. Masterbox, qui a noué des partenariats avec UPS et Chronopost, joue auprès des consommateurs le rôle de « tiers de confiance », assurant la sécurité tant de l’acheminement que du paiement de la commande, et dispose d’un service client joignable cinq jours sur sept. Des services indispensables que les petites structures ont parfois du mal à mettre en oeuvre. Enfin, comme Carte Carotte, Masterbox ne fait pas payer de frais d’entrée aux producteurs – « on est cent pour cent à la performance », affirme Vincent Naigeon –, mais prend une commission sur chaque commande, qui est tout de même de 30 %. « Sur une vente à cent euros, détaille l’entrepreneur, on en prend trente dont vingt sont réinvestis dans la communication et le marketing. Nous gardons les 10 % restants pour entretenir la plateforme, développer l’offre et le service client. »
Des territoires connectés à l’écosystème mondial
Comme Victoria Benhaim d’i-Lunch (lire l’encadré ci-dessus), Julia et Matéo Maadini de Carte Carotte et Vincent Naigeon de Masterbox, Laurent Coussonnet a trouvé moyen de braver une conjoncture défavorable. L’entrepreneur de 56 ans, ancien directeur de l’innovation et du développement
informatique de Sopra-Steria, société de conseil en transformation digitale des entreprises, professe ce conseil aux petits producteurs : « Utilisez au maximum l’intelligence collective de votre territoire et rapprochez-vous de votre écosystème.»
Son milieu géographique à lui, c’est la ville industrielle et étudiante de Clermont-Ferrand, et sa société, Yesitis, y puise de précieuses ressources locales. Néanmoins, concède l’ingénieur informatique, expliquer le concept de son activité ne va pas de soi. Il s’agit, résume-t-il, de « réunir, au sein d’une même chaîne de valeur, les trois métiers du digital, de l’électronique et de la production afin de designer, concevoir et fabriquer des objets connectés ». Laurent Coussonnet prend l’exemple des capteurs de pression de pneus que sa société fabrique pour
« Certains payent jusqu’à 20 000 euros pour un site web qui ne leur rapporte rien »
Vincent Naigeon, fondateur de Masterbox
Michelin : « Il faut que vous alliez acheter des cartes électroniques en Asie, de l’injection plastique en Europe du Sud, de l’assemblage au Maghreb… Avant nous, vous deviez composer avec cinq ou six partenaires différents, alors qu’avec Yesitis, tout est intégré. » Ainsi, le startuper fait collaborer des acteurs issus de divers horizons autour d’un projet commun. Ce qui induit un gain de temps considérable et un meilleur suivi qualité. Laurent Coussonnet ajoute que ce processus agit comme « un véritable déclencheur de décision pour les clients ».
Yesitis a conçu des objets aussi divers que les compteurs numériques du Metropolis, le scooter trois-roues de Peugeot, ou les « boîtiers électroniques avec GPS et accéléromètre » de Michelin, embarqués dans les camions pour analyser les comportements des routiers. La société a également développé un « équivalent du Pass Navigo pour les transports de SaintPétersbourg » ou « des billets pour Pompéi permettant de commander une boisson ou des accès particuliers » à certaines zones du site archéologique sud-italien…
Une connexion internet et tout devient possible
Et la crise dans tout ça? Laurent Coussonnet, qui indique « faire du télétravail depuis vingt ans », loue les avantages du numérique, comme celui de pouvoir rester dans sa région auvergnate, avec plus de 75 % de collaborateurs recrutés localement. Partant du principe qu’une connexion internet peut tout changer, il se souvient, dans une vie professionnelle antérieure, « avoir créé en quelques années de grands centres informatiques et des milliers d’emplois à Bangalore (Inde), là où, au départ, il n’y avait même pas l’électricité ».
Évidemment, le télétravail et sa cohorte d’outils numériques ne résolvent pas tous les problèmes des entreprises, qu’elles soient de petits Poucet artisanaux, de grands groupes ou des PME. Il n’en reste pas moins vrai qu’une connexion internet peut rebattre les cartes, tant pour les sociétés spécialisées dans les technologies de l’information que pour les agriculteurs et les petits artisans. Ils ont tous à y gagner, à condition de bien être accompagnés…z