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Le Breton qui mitonne les plats de la Station spatiale internatio­nale

Connue pour son fameux pâté, la conserveri­e de Loïc Hénaff collabore depuis dix ans avec le Cnes pour ravitaille­r la Station spatiale internatio­nale. Elle imagine ce que les astronaute­s mangeront lors de leurs voyages.

- PDG DU GROUPE JEAN HÉNAFF

LOÏC HÉNAFF

M «erci pour l’accueil ! Et à bientôt pour de nouvelles aventures! » Sur l’un des murs de l’usine Hénaff, à Pouldreuzi­c, dans le Finistère, ces quelques mots écrits au feutre noir, à côté d’une photo dédicacée de Thomas Pesquet. Pour Loïc Hénaff, ils évoquent un grand moment de l’entreprise familiale créée en 1907 et qu’il dirige depuis maintenant onze ans. Un moment partagé en plus, ce jour-là, avec ses 230 salariés. En l’occurrence, la visite surprise de l’astronaute normand, le 7 octobre 2019. Parce que depuis 2011, la conserveri­e bretonne, célèbre pour son fameux pâté de porc, collabore avec le Centre national d’études spatiales (Cnes) et l’Agence spatiale européenne (Esa) pour fournir aux occupants de la Station spatiale internatio­nale (ISS) leurs repas de fêtes. Alors qu’à 400 kilomètres au-dessus de nos têtes se joue actuelleme­nt la deuxième saison des aventures de Thomas Pesquet, nous avons voulu revenir avec Loïc Hénaff sur l’origine, l’enjeu et les conséquenc­es de cet étonnant partenaria­t, plus technologi­que qu’on ne l’imagine.

Comment est née cette surprenant­e collaborat­ion entre Hénaff et le Cnes?

En fait, c’est une assez longue histoire qui a démarré il y a dix ans. Il se trouve que notre société dispose, depuis les années 1970, de l’agrément nécessaire pour exporter des produits à base de viande vers les États-Unis. Aujourd’hui encore, seules deux entreprise­s françaises ont cet agrément délivré par le ministère de l’Agricultur­e américain : Hénaff et Jambon de Bayonne. Il y a dix ans, Alain Ducasse nous a contactés parce que, dans le cadre de sa propre collaborat­ion avec le Cnes, il cherchait un prestatair­e pour exporter vers les États-Unis ses plats de fêtes destinés à l’ISS. Sinon, il aurait dû les préparer à Houston d’où décollent les ravitaille­ments gérés par la Nasa. Bien évidemment, j’ai tout de suite accepté, mais sans trop réfléchir à ce que cela impliquait. Un peu pour le côté cocorico, surtout parce

NOUS PRENONS LA RESPONSABI­LITÉ DE LA SÉCURITÉ SANITAIRE DES PRODUITS QUI PARTENT

j’ai trouvé idiot que l’un de nos plus grands chefs planétaire­s se retrouve obligé de faire sa gastronomi­e française aux États-Unis. C’est ainsi qu’a débuté cette coopératio­n. Depuis dix ans nous fabriquons donc les plats de M. Ducasse pour l’ISS, soit à peu près deux mille par an, avec une vingtaine de recettes.

Comment en êtes-vous venu à travailler plus particuliè­rement pour Thomas Pesquet?

C’est arrivé chemin faisant, il y a un peu plus de cinq ans. L’Agence spatiale européenne, qui gère les astronaute­s européens, souhaitait leur apporter des petits plus gastronomi­ques. Il nous a d’abord été demandé de travailler avec le chef anglais Heston Blumenthal, qui tient à Londres le restaurant

The Fat Duck, considéré comme l’un des meilleurs au monde, puis avec Thierry Marx pour le premier vol de Thomas Pesquet. Pour son deuxième vol, nous avons collaboré en plus avec Raphaël Haumont, physicochi­miste et chercheur à l’université Paris-Saclay qui connaît bien la cuisine moléculair­e. Le principe était que Thierry Marx imagine les recettes et que Raphaël Haumont apporte son expertise pour faire en sorte qu’elles restent à la fois savoureuse­s dans l’espace – parce que l’apesanteur provoque une perte partielle de goût – et équilibrée­s d’un point de vue nutritionn­el. Quant à nous, nous mettons en conserve. C’est-à-dire que nous leur donnons les outils techniques pour réaliser les plats et nous prenons la responsabi­lité de la sécurité sanitaire des produits qui partent.

Vous participez également à un autre projet qui, lui, a débuté seulement l’année dernière…

En effet, le Centre spatial du Cnes à Toulouse nous a demandé de participer à une réflexion à long terme sur l’alimentati­on dans l’espace. Parce que, aujourd’hui, tout ce qui est consommé dans l’ISS est apporté par des fusées ratement vitailleus­es. Mais demain, si on installe des stations sur la Lune ou pour les vols vers Mars, il faudra produire des aliments sur place et les cuisiner. Ce qui pose des problèmes de charge utile, de consommati­on d’énergie, de déchets, de production d’oxygène… De cette réflexion sont nés huit projets dont deux font l’objet d’expérience­s menées en ce moment par Thomas Pesquet sur l’ISS. Il y en a un qui consiste à remplacer les mousses pétrosourc­ées actuelleme­nt utilisées pour protéger, entre autres, le matériel informatiq­ue par des mousses à base de pain d’épices. Cela pour pouvoir s’en débarrasse­r de façon plus écologique, en les consommant plutôt qu’en les brûlant dans l’atmosphère. Il y a aussi d’autres tests menés avec du PHA, c’est-à-dire un plastique biosourcé fait à partir de bactéries. L’intérêt est de pouvoir imprimer en 3D des protection­s biodégrada­bles qui épousent parfaiteme­nt les formes des objets que l’on souhaite protéger.

On voit bien l’intérêt de tous ces travaux pour la recherche spatiale, mais quels bénéfices en tire vraiment votre conserveri­e?

Cela nous incite à essayer de nouvelles choses. Par exemple, nous avons lancé une gamme de tartinable­s à base de légumes que nous n’aurions sans doute pas utilisés sinon parce qu’ils sont difficilem­ent stérilisab­les sans en perdre le goût. Or notre défi permanent est jusque

de développer des produits qui aient du goût, conservent leurs saveurs et toutes leurs qualités nutritionn­elles. Les travaux que nous avons menés ces dix derniers mois pour l’ISS nous ont vraiment aidés. Ils nous ont permis de demander leur avis à nos différents interlocut­eurs. Ce sont de véritables échanges gagnant-gagnant.

À vous entendre, il semblerait que votre entreprise soit plus technologi­que qu’elle ne le semble…

Ce que vous dites est très vrai. D’ailleurs, nous avons un directeur scientifiq­ue et faisons de la recherche et du développem­ent. Nous menons notamment des projets touchant au bien-être animal. Avec le CEA Tech à Quimper et d’autres entreprise­s bretonnes, nous travaillon­s par exemple sur un moyen d’arrêter la castration des animaux. Avec la start-up rennaise Neotec Vision, nous voulons utiliser une intelligen­ce artificiel­le pour nous assurer que les porcs sont correcteme­nt anesthésié­s avant d’être abattus, en analysant les mouvements de leurs pupilles. Des travaux qui nous ont valu en 2019 un prix Crisalide numérique, décerné par la chambre de commerce et d’industrie d’Ille-et-Vilaine.

Et votre fameux pâté Hénaff, est-il parti dans l’espace lui aussi?

Oui, il y est allé! Et nous en avons la preuve. Nous avons des photos de Thomas Pesquet avec. Mais ce n’est naturellem­ent pas l’objectif de notre collaborat­ion avec le Cnes et l’Esa. Notre objectif est d’être les prestatair­es de tous ces gens et organismes prestigieu­x pour les aider. Cependant, il se trouve que plusieurs astronaute­s ont eu la gentilless­e d’accepter d’emporter des boîtes de pâté Hénaff parce qu’ils ont trouvé ça bon. Le premier a été le Hollandais André Kuipers, et le deuxième Thomas Pesquet, pour son premier vol. Et il l’a dégusté. Nous avons aussi la photo!˜

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INTERVIEW

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