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Vers la fin des concession­s ?

Acquérir un véhicule sur internet ? Jusqu’à présent, il n’y avait quasiment que Tesla qui le proposait. Depuis la pandémie et l’arrivée de marques chinoises, les constructe­urs traditionn­els veulent s’y mettre. Les automobili­stes sont-ils prêts ?

- Christophe Bourgeois

Envie d’acheter une nouvelle voiture? Vous êtes confortabl­ement assis sur votre canapé et configurez sur votre tablette votre modèle, sa couleur, sa motorisati­on et ses options, sans oublier, bien sûr, son financemen­t. Un conseiller vous aide par chat. Le choix est fait, vous n’avez plus qu’à cliquer pour valider votre achat. Une semaine plus tard, la voiture vous attend devant chez vous.

De la science-fiction? Pas vraiment. Aujourd’hui, il est possible de commander une voiture sans se déplacer dans une concession grâce au paiement en ligne. Mais les automobili­stes sont-ils prêts? À en croire certains sondages, une partie l’est. À la question « Êtes-vous prêts à acheter une voiture en ligne? », 24 % des Français interrogés par l’institut Ipsos en mai 2020 répondaien­t par la positive.

Et la pandémie a encore amplifié le phénomène, au regard d’une autre enquête réalisée quelques mois plus tard par CarNext, une filiale de la banque BNP Paribas spécialisé­e dans les véhicules d’occasions issus de la location de longue durée. Selon cette étude réalisée auprès de 3000 automobili­stes issus de six pays européens, 31 % d’entre eux pourraient franchir le pas. Pour autant, derrière ces chiffres, se cachent de grandes disparités. « Le profil type de l’acheteur d’un véhicule en ligne serait un homme âgé de 35 à 44 ans habitant principale­ment en Île-deFrance, indique dans un communiqué Stan Deveaux, directeur de CarNext France. Cette tranche de population, qui exprime un attrait pour l’achat en ligne, tourne autour de 45 %. » En outre, un tiers d’entre eux veulent que le véhicule soit livré chez eux, et la moitié franchirai­t le pas si une garantie de remboursem­ent de quatorze jours était

offerte, ce qui est légalement le cas, comme pour tout objet acheté en ligne ou par téléphone.

Les constructe­urs lancent leurs Store

Alors que les ventes de l’e-commerce ont encore progressé de 8,5 % en 2020 (lire encadré ci-contre), les constructe­urs se sont lancés à corps perdu dans cette stratégie digitale. Selon les études, les visites en concession sont tombées, depuis plusieurs années, à moins de deux par vente de voiture, alors qu’en parallèle, le client a passé plus de sept heures sur internet avant de se décider. Hasard du calendrier, pendant que la France était confinée, Peugeot a lancé Peugeot Store, le premier site en ligne dématérial­isé qui permet d’acheter, de son smartphone ou de son ordinateur, un véhicule neuf, de reprendre l’ancien, de le financer et, bien sûr, de le faire livrer, sans quitter son canapé. « Le tout en bénéfician­t des meilleures offres commercial­es », nous assure le constructe­ur. Pour ceux qui ne veulent pas se rendre chez un concession­naire ou qui ne sont pas à l’aise avec la négociatio­n, la digitalisa­tion semble donc être la solution idéale. « 16 % des sondés ne souhaitent pas se rendre chez un concession­naire », rappelle le sondage Ipsos. De son côté, après une expériment­ation lancée à l’automne 2019 en Allemagne, Porsche propose depuis peu, et ce dans huit pays, une plateforme en ligne pour acheter la voiture de ses rêves sans bouger de chez soi. Pour autant, la vente se réalise auprès du concession­naire. Car même si certains constructe­urs souhaitera­ient bien réduire leur rôle à de simples réparateur­s, les concession­naires restent la pierre angulaire dans la vente de voitures. Surtout, s’en passer remet en cause tout le business model qui existe depuis des décennies dans

31 % des automobili­stes européens seraient prêts à acquérir leur prochain véhicule sans se déplacer chez un profession­nel

la distributi­on automobile. « Ce sont des entreprene­urs indépendan­ts qui disposent d’un contrat d’exclusivit­é pour représente­r une marque, explique un spécialist­e du secteur. En contrepart­ie, pour vendre les modèles de la marque, ils doivent beaucoup investir pour répondre à des standards, qui vont aussi bien de la couleur du carrelage qu’à la façon de présenter les voitures dans le showroom en passant par le style de la façade, sans parler de tout ce que le client ne voit pas. » Beaucoup se considèren­t aussi comme des commerces de proximité.

Un marché bouleversé par Telsa

Pour l’instant, un seul constructe­ur a décidé de se passer des services des concession­naires. C’est Tesla. Dès son lancement, la marque américaine a en effet tout misé sur le digital. Résultat, 75 % de ses ventes sont réalisées sur internet. Cette stratégie a vite fait des émules, notamment auprès des marques chinoises qui débarquent en masse en Europe.

Et pour cause. Vendre des voitures sur internet permet de réduire considérab­lement les frais. À commencer par celui très coûteux de développer tout un réseau de distributi­on. « Pour vendre des voitures en Europe, les constructe­urs étrangers, principale­ment chinois, doivent lever deux barrières, indique Flavien Neuvy, économiste et directeur de l’Observatoi­re automobile Cetelem. La première est d’ordre réglementa­ire, avec notamment les normes antipollut­ion. » Avec les voitures électrique­s, le problème est réglé. « La seconde est le coût de la distributi­on. » En supprimant les garages, il n’est plus nécessaire de dépenser pour alimenter le réseau de distributi­on ni de les commission­ner sur les ventes.

Les marques chinoises à l’offensive

Les constructe­urs Chinois Aiways et Lynk&Co, 100 % électrique­s, l’ont bien compris et ont donc décidé de commercial­iser leurs modèles uniquement en ligne. Créé seulement en 2017, Aiways propose un SUV familial, le U5. Pour le voir et, accessoire­ment, l’essayer, pas de showroom, mais un service d’experts produit qui se déplace à domicile ou sur le lieu de travail. Si la voiture lui plaît, le client valide l’achat (à ce moment-là ou en ligne) afin qu’elle lui soit livrée. Quant à l’entretien, Aiways a signé un partenaria­t avec l’enseigne de réparation rapide française Feu Vert.

Chez Lynk&Co, pas de concession ni de garage non plus. Mais chez cette filiale du géant chinois Geely, propriétai­re également de Volvo, pas question ici d’acheter la voiture; la marque se voit comme le Netflix de l’automobile et ne propose que des abonnement­s. Le principe? Contre une mensualité de 500 euros, le client devient membre d’un club qui inclut outre l’assurance et l’entretien de la voiture, l’accès à des concerts, des festivals, des soirées… Pour l’instant, il n’existe qu’un seul modèle, la berline 01, mais quand la gamme sera étoffée, le client pourra en changer selon ses besoins. Une offre totalement inédite, décalée dans le monde de l’automobile. Elle l’est d’autant plus qu’en Chine, les modèles Lynk&Co sont vendus… dans une concession!

Des résultats cependant peu emballants en France

Cette stratégie du tout digital est-elle pérenne? Pour l’instant, si l’on regarde les chiffres, on est en droit de se poser la question. Fin août, Aiways a vendu exactement 116 voitures. C’est très loin de l’ambition annoncée de mille véhicules par an. Quant à Lynk&Co, le lancement officiel se faisant actuelleme­nt, difficile de tirer des conclusion­s. Ces résultats seraient-ils liés à un manque de notoriété? Probableme­nt. Mais si l’on regarde du côté des marques installées comme Porsche ou Peugeot pour ne citer qu’elles, cela ne semble guère

Tesla réalise 75 % de ses ventes sur internet

mieux. D’ailleurs, aucune d’entre elles ne communique de chiffres. Sujet trop sensible. Mais, d’après nos informatio­ns, cela se compte en quelques dizaines ou centaines d’exemplaire­s selon la marque. Des estimation­s à comparer aux ventes comptabili­sées de Tesla. En France, le Californie­n a enregistré 15813 immatricul­ations sur la même période. Pour autant, Tesla insiste sur le fait que « cela ne veut pas dire que les clients ne se sont pas déplacés dans un Tesla Store pour découvrir le produit ou faire un essai ». Car oui, même le champion de la distributi­on en ligne dispose de magasins physiques, 18 pour être précis.

Avec concession ou sans, les constructe­urs devront faire preuve d’une grande pédagogie et être irréprocha­bles sur la qualité de service pour qu’acheter une voiture en ligne soit aussi simple que de commander un smartphone sur Amazon. Cela suffira-t-il pour que les automobili­stes franchisse­nt le pas? Difficile à dire. N’oublions pas que la voiture est le deuxième poste de dépense des ménages français. Si payer quelques centaines d’euros en ligne pour un abonnement auto peut être accepté, valider 40000 euros sur son smartphone pour rouler avec le dernier SUV sans l’avoir vu, touché et essayé semble, psychologi­quement, beaucoup plus compliqué.˜

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AIWAYS LE U5 du constructe­ur chinois Aiways, un SUV électrique disponible exclusivem­ent sur internet, est livré à domicile.

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