LA SECONDE CHANCE DES CARBURANTS LIQUIDES
Outre l’électrique et l’hydrogène, certains acteurs du secteur s’intéressent aux carburants liquides de nouvelle génération, issus de la biomasse, pour réduire les émissions de CO2 dans les transports.
En 2035, les constructeurs automobiles n’auront plus le droit de vendre de voitures thermiques en Europe. Et en 2050, les compagnies aériennes devront atteindre la neutralité carbone. Pour arriver à ces deux objectifs, il n’existe pour l’instant pas d’autres moyens que l’électrique ou l’hydrogène. Seulement, ces technologies ne sont pas encore à la portée de toutes les bourses, quand elles ne restent pas à l’étape de projet pour l’aéronautique. Et si l’une des solutions pour réduire les émissions de CO2 dans les transports passait par des carburants liquides? D’autant qu’ils existent déjà dans l’automobile. Vous savez, l’E85, la pompe bleue à la stationservice. Appelé également superéthanol, ce biocarburant est un mélange de bioéthanol (60 à 85 %, d’où son nom) et de sans-plomb 95 (15 à 40 %). En France, qui en est le premier producteur d’Europe, il est issu des betteraves sucrières ou de céréales. Ses avantages sont nombreux. Non seulement, il protège le portefeuille de l’automobiliste, l’E85 étant fortement détaxé, mais il est également plus respectueux de l’environnement.
Un carburant de synthèse presque neutre en carbone
Contrairement au GPL (gaz de pétrole liquéfié) ou au GNV (gaz naturel véhicule), autres carburants alternatifs qui, eux, proviennent de ressources fossiles, le composant principal de l’E85 est 100 % renouvelable. Et ses rejets de CO2 sont quasiment neutres. Par quel miracle? Le CO2 émis par le moteur équivaut à celui capté lors de leur croissance par les céréales et les betteraves ayant servi à la production du biocarburant. Enfin, l’E85 est facile à stocker et à utiliser. La plupart des moteurs essence, même anciens, acceptent en effet ce carburant. Seule contrainte, il nécessite d’installer un boîtier électronique afin de réguler la quantité à injecter dans les cylindres. Malgré tous ses avantages, l’E85 n’a cependant pas que des aficionados. Ses détracteurs, eux, lui reprochent de n’être pas aussi vertueux que cela, notamment lorsqu’il est produit à base d’huile de palme – ce qui n’est pas le cas dans l’Hexagone. Surtout, ils sont contre le fait de cultiver des terres pour produire des carburants alors qu’elles pourraient servir à nourrir les popula
tions. Un argument lui aussi rapidement balayé par le site du ministère de l’Écologie qui indique qu’« en France, les cultures utilisées pour la production de bioéthanol destiné à un usage carburant représentent environ 3 % de la surface agricole globale de céréales et de plantes sucrières ».
Des Porsche à l’eFuel et des avions à l’huile de cuisson
Mais la demande pourrait vite augmenter, notamment dans le sport automobile. Au Chili, l’allemand Porsche construit avec Siemens une usine pilote pour fabriquer un carburant de synthèse (presque) neutre en carbone, qu’il a baptisé eFuel (lire n° 960, p. 31). Dans cette usine, des éoliennes utilisent le vent comme source d’énergie pour séparer l’hydrogène de l’oxygène de l’eau via l’électrolyse. Le CO2 de l’air est ensuite combiné avec l’hydrogène récupéré pour former du méthanol synthétique qui, via un processus chimique complexe, sera transformé en essence. Porsche prévoit d’utiliser ce carburant d’un genre nouveau dans les compétitions automobiles dès l’année prochaine. Le monde de l’aérien s’intéresse aussi aux carburants liquides, dans l’optique d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Car en l’état des connaissances, faire voler un avion électrique ou hydrogène pose d’énormes problèmes techniques. En mai, le premier avion utilisant du biocarburant issu d’huiles usagées produit en France a décollé de Paris vers Montréal. Les réservoirs de cet Airbus A350 embarquaient 16 % de biocarburant, ce qui a permis d’éviter l’émission de 20 tonnes de CO2 (lire n° 962, p. 31). Fin octobre, Airbus, Dassault Aviation et Safran sont allés plus loin en faisant voler au-dessus de Toulouse un Airbus 319neo embarquant dans ses réservoirs 100 % de carburant aérien durable (CAD). Fourni par Total Energies, ce CAD était produit à partir d’esters hydrotraités et d’acides gras. Plus prosaïquement, il s’agissait d’huiles de cuisson usagées mélangées avec des hydrocarbures sans soufre ni aromatiques.
85 % d’émissions de CO2 en moins que le kérosène
Les avantages de ce nouveau carburant? Comme pour l’E85, les émissions de CO2, de la production du carburant à sa consommation, sont réduites par rapport au kérosène. Ici, le gain est estimé à 85 %. En outre, il est compatible avec les moteurs déjà existants et ne nécessite pas d’installation particulière de stockage dans les aéroports. Produit près du Havre, en Normandie, ce carburant pourrait être utilisé pour faire voler des hélicoptères Airbus dès l’année prochaine. Demeure néanmoins un inconvénient, et de taille : il coûte deux à trois fois plus cher que le kérosène. Mais les huiles usagées ne sont pas les seules pistes de développement des CAD. L’American Society for Testing Material, un organisme de normalisation qui encadre notamment leur homologation pour l’aviation, étudie les résultats des premiers tests de carburants issus de la fermentation du glucose et de la conversion de résidus de bois et de déchets d’agriculture en hydrocarbures liquides. Grâce au bois, aux déchets végétaux, à la betterave, à la canne à sucre ou encore aux huiles usagées, les moteurs thermiques pourraient donc connaître une vertueuse seconde vie, en réduisant les émissions de CO2 à leur plus simple expression.
Le CO2 capté et l’hydrogène vont former du méthanol qui sera ensuite transformé en essence