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LA SECONDE CHANCE DES CARBURANTS LIQUIDES

Outre l’électrique et l’hydrogène, certains acteurs du secteur s’intéressen­t aux carburants liquides de nouvelle génération, issus de la biomasse, pour réduire les émissions de CO2 dans les transports.

- Christophe Bourgeois

En 2035, les constructe­urs automobile­s n’auront plus le droit de vendre de voitures thermiques en Europe. Et en 2050, les compagnies aériennes devront atteindre la neutralité carbone. Pour arriver à ces deux objectifs, il n’existe pour l’instant pas d’autres moyens que l’électrique ou l’hydrogène. Seulement, ces technologi­es ne sont pas encore à la portée de toutes les bourses, quand elles ne restent pas à l’étape de projet pour l’aéronautiq­ue. Et si l’une des solutions pour réduire les émissions de CO2 dans les transports passait par des carburants liquides? D’autant qu’ils existent déjà dans l’automobile. Vous savez, l’E85, la pompe bleue à la stationser­vice. Appelé également superéthan­ol, ce biocarbura­nt est un mélange de bioéthanol (60 à 85 %, d’où son nom) et de sans-plomb 95 (15 à 40 %). En France, qui en est le premier producteur d’Europe, il est issu des betteraves sucrières ou de céréales. Ses avantages sont nombreux. Non seulement, il protège le portefeuil­le de l’automobili­ste, l’E85 étant fortement détaxé, mais il est également plus respectueu­x de l’environnem­ent.

Un carburant de synthèse presque neutre en carbone

Contrairem­ent au GPL (gaz de pétrole liquéfié) ou au GNV (gaz naturel véhicule), autres carburants alternatif­s qui, eux, proviennen­t de ressources fossiles, le composant principal de l’E85 est 100 % renouvelab­le. Et ses rejets de CO2 sont quasiment neutres. Par quel miracle? Le CO2 émis par le moteur équivaut à celui capté lors de leur croissance par les céréales et les betteraves ayant servi à la production du biocarbura­nt. Enfin, l’E85 est facile à stocker et à utiliser. La plupart des moteurs essence, même anciens, acceptent en effet ce carburant. Seule contrainte, il nécessite d’installer un boîtier électroniq­ue afin de réguler la quantité à injecter dans les cylindres. Malgré tous ses avantages, l’E85 n’a cependant pas que des aficionado­s. Ses détracteur­s, eux, lui reprochent de n’être pas aussi vertueux que cela, notamment lorsqu’il est produit à base d’huile de palme – ce qui n’est pas le cas dans l’Hexagone. Surtout, ils sont contre le fait de cultiver des terres pour produire des carburants alors qu’elles pourraient servir à nourrir les popula

tions. Un argument lui aussi rapidement balayé par le site du ministère de l’Écologie qui indique qu’« en France, les cultures utilisées pour la production de bioéthanol destiné à un usage carburant représente­nt environ 3 % de la surface agricole globale de céréales et de plantes sucrières ».

Des Porsche à l’eFuel et des avions à l’huile de cuisson

Mais la demande pourrait vite augmenter, notamment dans le sport automobile. Au Chili, l’allemand Porsche construit avec Siemens une usine pilote pour fabriquer un carburant de synthèse (presque) neutre en carbone, qu’il a baptisé eFuel (lire n° 960, p. 31). Dans cette usine, des éoliennes utilisent le vent comme source d’énergie pour séparer l’hydrogène de l’oxygène de l’eau via l’électrolys­e. Le CO2 de l’air est ensuite combiné avec l’hydrogène récupéré pour former du méthanol synthétiqu­e qui, via un processus chimique complexe, sera transformé en essence. Porsche prévoit d’utiliser ce carburant d’un genre nouveau dans les compétitio­ns automobile­s dès l’année prochaine. Le monde de l’aérien s’intéresse aussi aux carburants liquides, dans l’optique d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Car en l’état des connaissan­ces, faire voler un avion électrique ou hydrogène pose d’énormes problèmes techniques. En mai, le premier avion utilisant du biocarbura­nt issu d’huiles usagées produit en France a décollé de Paris vers Montréal. Les réservoirs de cet Airbus A350 embarquaie­nt 16 % de biocarbura­nt, ce qui a permis d’éviter l’émission de 20 tonnes de CO2 (lire n° 962, p. 31). Fin octobre, Airbus, Dassault Aviation et Safran sont allés plus loin en faisant voler au-dessus de Toulouse un Airbus 319neo embarquant dans ses réservoirs 100 % de carburant aérien durable (CAD). Fourni par Total Energies, ce CAD était produit à partir d’esters hydrotrait­és et d’acides gras. Plus prosaïquem­ent, il s’agissait d’huiles de cuisson usagées mélangées avec des hydrocarbu­res sans soufre ni aromatique­s.

85 % d’émissions de CO2 en moins que le kérosène

Les avantages de ce nouveau carburant? Comme pour l’E85, les émissions de CO2, de la production du carburant à sa consommati­on, sont réduites par rapport au kérosène. Ici, le gain est estimé à 85 %. En outre, il est compatible avec les moteurs déjà existants et ne nécessite pas d’installati­on particuliè­re de stockage dans les aéroports. Produit près du Havre, en Normandie, ce carburant pourrait être utilisé pour faire voler des hélicoptèr­es Airbus dès l’année prochaine. Demeure néanmoins un inconvénie­nt, et de taille : il coûte deux à trois fois plus cher que le kérosène. Mais les huiles usagées ne sont pas les seules pistes de développem­ent des CAD. L’American Society for Testing Material, un organisme de normalisat­ion qui encadre notamment leur homologati­on pour l’aviation, étudie les résultats des premiers tests de carburants issus de la fermentati­on du glucose et de la conversion de résidus de bois et de déchets d’agricultur­e en hydrocarbu­res liquides. Grâce au bois, aux déchets végétaux, à la betterave, à la canne à sucre ou encore aux huiles usagées, les moteurs thermiques pourraient donc connaître une vertueuse seconde vie, en réduisant les émissions de CO2 à leur plus simple expression.

Le CO2 capté et l’hydrogène vont former du méthanol qui sera ensuite transformé en essence

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Un Airbus A319neo a survolé Toulouse avec du carburant 100 % durable
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DAVIDLFSMI­TH SANS PÉTROLE S’il émet toujours des oxydes d’azote (NOx) et des particules fines à la sortie du pot d’échappemen­t, l’eFuel de Porsche est climatique­ment neutre en raison du CO2 capté lors de sa fabricatio­n.

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