« Le grand challenge de la VR sera génétique »
SERGE TISSERON PSYCHIATRE ET PSYCHANALYSTE
Auteurs d’essais tels que Virtuel, mon amour (éd. Albin Michel, 2008) ou Rêver, fantasmer, virtualiser. Du virtuel psychique au virtuel numérique (éd. Dunod, 2012), le psychiatre ne doute pas trop des capacités de l’être humain à s’adapter à ces nouveaux mondes.
En quoi la réalité virtuelle se distingue des autres expériences fictionnelles ?
C’est une expérience plus immersive, plus viscérale que toutes celles qui l’ont précédée. Cela dit, le roman, pour un passionné de lecture, l’est tout autant. Mais il est vrai qu’un visiocasque et un gant haptique ajoutent un sentiment de présence. En l’absence de consensus, ce sentiment est difficile à définir. Tout va dépendre de la faculté de dissociation dont sera capable chaque personne.
Pensez-vous que cette technologie va, peu à peu, entrer dans les moeurs ?
Lors de la première projection publique du film
L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat, des frères Lumière (en 1896, NDLR), les spectateurs auraient eu peur que le train roule sur eux. Je pense que c’est vrai. Aujourd’hui, des jeux vidéo paraissent terrifiants à certains parents qui n’ont jamais joué, alors que des enfants jouant régulièrement trouvent cela plutôt rigolo.
Il reste donc du chemin à parcourir pour que les gens s’y habituent ?
Le grand challenge de la réalité virtuelle sera éducatif, mais peut-être aussi génétique. Il reposera sur notre capacité à entrer et sortir mentalement d’une situation, à s’y immerger et à s’en dégager. C’est une chose qu’on observe déjà : certaines personnes sont totalement immergées alors que d’autres métacommuniquent, c’est-à-dire qu’elles font un pas de recul, de côté et commentent la situation. Les jeunes le font déjà avec leurs jeux vidéo. Sauf cas pathologique, ils y entrent et en sortent comme ils le veulent. La conséquence, c’est qu’on ne peut pas partir de l’être humain d’aujourd’hui pour savoir comment sera gérée la réalité virtuelle. Les innovations technologiques ont toujours fait craindre des choses abominables, car elles ne tenaient pas compte de la capacité de l’être humain à se familiariser, en quelques générations, à ces progrès technologiques.