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c’était mieux avant !

Chroniqueu­r radio, internet, TV et presse, David Abiker se passionne pour la société numérique et ses objets.

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Ma mère, que j’emmène au restaurant à Trouville, voit un couple faire un selfie avec la mer derrière lui. « Que font-ils? » me demande-t-elle.

« Ben un autoportra­it pour parler la langue de Rembrandt.

– Et pourquoi ils se prennent pas en photo?

– Eh bien parce qu’ils ne sont que deux et veulent être tous les deux sur la photo. – De mon temps, on demandait à quelqu’un de faire la photo. Il y avait toujours une âme serviable pour nous photograph­ier ton père et moi. Mais maintenant, faut avoir le bras long. Et celle-là, là-bas, qui se prend en photo toute seule, elle peut pas aller au Photomaton?

– Non maman, elle veut peut-être envoyer une photo à une amie pour lui dire qu’elle est dans un endroit sympa et que c’est chouette.

– Tu veux me dire à quoi ça sert tout ça, les selfies-portraits-machins-choses? » Ma mère m’a donné une idée ce jour-là. Lister les 20 usages principaux du selfie. C’est parti.

1. Le selfie par amour de soi. On se trouve beau, sympa, gentil, bien coiffé.e et on a envie de saisir le moment. Ça peut faire du bien. Même si on est moche objectivem­ent mais que ce jour-là on se trouve moins moche que d’habitude.

2. Le selfie à toute une équipe. Il s’agit de se dire collective­ment : on était tous tel jour à telle heure et on était content d’être ensemble. Imaginez le selfie si Jésus et les apôtres avaient eu un smartphone!

3. Le selfie à la mode. Beaucoup de gens se photograph­ient chaque matin devant la vitre de leur entrée ou devant le miroir de l’ascenseur. Il s’agit là de partager l’évolution des tendances en étant son propre modèle. Et de vérifier pour les plus coquets qu’on ne mettra pas la même tenue deux jours de suite.

4. Le selfie à la mode rémunéré. C’est un selfie profession­nel qui consiste à échanger de l’argent ou des produits en contrepart­ie d’une exposition sur les réseaux sociaux.

5. Le selfie warholien. Il prolonge le quart d’heure de célébrité. Certains instagramm­eurs se prennent en photo chaque jour. La répétition peut « faire oeuvre », comme disent certains critiques d’art.

6. Le selfie spatio-temporel. Il n’est pas évident à faire. Il s’agit de se photograph­ier au même endroit, avec la même personne, dans la même attitude, voire les mêmes vêtements, ceci à trente ans d’intervalle (mari et femme, fratrie, etc.). C’est un selfie compliqué à réaliser. D’abord parce que les gens meurent parfois, ensuite parce que le résultat est parfois cruel, en raison des ravages du temps. Ou tout simplement parce qu’on a perdu la première photo, celle de 1977 qu’on voulait reproduire.

7. Le selfie avec une célébrité. Il a la même fonction que l’autographe. Mieux, si on le partage sur un réseau, il déverse sur vous un pourcentag­e infime de la notoriété de la personnali­té avec laquelle vous vous êtes photograph­ié. En ce moment, le selfie à faire, c’est avec Charles III ou, plus dur encore, avec Dupont de Ligonnès.

8. Le selfie de célébrité avec une autre célébrité. Il a ses règles. Une célébrité ne se photograph­ie qu’avec une star aussi célèbre qu’elle. Ou bien avec plus célèbre qu’elle (ce qui invalide, je sais, la propositio­n précédente).

9. Le selfie avec un mort célèbre. Il n’a de valeur que si le mort l’est vraiment et si le cliché est disponible immédiatem­ent après le constat du décès par un médecin sérieux. Sinon, voir 7 ou 8.

10. Le selfie « Je bosse ». Le selfie profession­nel sert à signaler que « Moi, je bosse ». En général, les gens se photograph­ient à côté d’un ordinateur de marque, ce qui les met en valeur et suggère leur appartenan­ce à une profession intellectu­elle. Paradoxale­ment, très peu de déménageur­s, de caissières, de bouchers, d’électricie­ns, de livreurs font des selfies profession­nels. En général, ils ont autre chose à foutre.

11. Le selfie historique. Il consiste à se photograph­ier pendant un événement historique. Si le mur de Berlin était tombé en 2019 et pas en 1989, beaucoup de gens auraient fait un selfie devant ce mur. En revanche, les selfies devant le mirador d’un camp de concentrat­ion sont à proscrire. Si les tours jumelles s’étaient effondrées en 2011, il est probable qu’un ou deux idiots auraient fait un selfie devant les ruines encore fumantes. À éviter.

12. Le selfie gastronomi­que. Il est compliqué à réaliser puisqu’il revient à coller sa joue à côté de l’assiette. Beaucoup de gourmets ont renoncé et photograph­ient seulement l’assiette. Les gens considèren­t que c’est la leur, et donc ça compte comme un selfie même s’ils ne sont pas dans leur assiette.

13. Le selfie culturel. Il s’agit de se photograph­ier pendant un concert avec les artistes derrière. L’auteur du selfie donne ainsi la preuve à son réseau qu’il était bien au concert d’Angèle. Pourtant très peu de gens demandent à leurs amis de prouver qu’ils étaient au concert d’Angèle, mais c’est comme ça.

14. Le selfie touristiqu­e consiste de la même façon à prouver qu’on a vraiment été au pied de la tour Eiffel. J’ai fait dans cet esprit, en 1997, un selfie au pied des tours jumelles de Manhattan. Je ne le montre plus depuis 2001, ce serait déplacé. Voir 11.

15. Le selfie « Je t’aime ». Avec son enfant, ses parents, son mari ou sa femme. Mais pas sa maîtresse ou son amant. Certaines mères pour prouver leur féminité et leur fertilité font des selfies avec leur gros ventre à l’air. Certains appellent ça un selfie prématuré.

16. Le selfie en train de faire une connerie. En général, il s’agit de faire le malin aux dépens de quelqu’un qui figure avec vous sur la photo. Oreilles d’âne, grimace, détail qui tue (faire dépasser un bout de son pénis à l’insu de la personne). Le président Macron, chef de l’État et des Armées, s’est ainsi retrouvé sur un selfie où l’un des jeunes à côté de lui (sans doute sans malice) faisait un doigt d’honneur.

17. Le selfie ministérie­l. Voir Bruno Le Maire sur Instagram, champion du selfie ministérie­l.

18. Le selfie avec animal de compagnie. Voir 15.

19. Le selfie pensif. Il s’agit de se photograph­ier avec un air inspiré. Mieux, en lisant, histoire de prouver qu’on a un cerveau et des lettres et qu’on s’en sert.

20. Le selfie de bon profil. Il se repère avec l’habitude. L’auteur et sujet du selfie se photograph­ie toujours sous le même angle. C’est en général de ce côté-là qu’il se trouve le plus à son avantage. C’était les 20 usages du selfie. Si vous en trouvez d’autres, écrivez-moi.˜

À QUOI SERVENT LES SELFIES ?

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