Des mots en travers de la gorge
Un sondage révèle que 78 % des Français ont subi ou craint le jugement d’un médecin
«D e toute façon, à votre âge, vous n’avez pas de relation sexuelle. » Voilà la phrase qui a choqué Flavie, lors d’une première rencontre houleuse avec une gynécologue. « J’avais 15 ans, un copain sérieux et beaucoup de questions sur la pilule, le sida et d’autres MST, confie la jeune femme de 26 ans. Avec cette assertion, elle m’interdisait toute demande. » Flavie n’est pas seule à partager une expérience désagréable avec un médecin. Un sondage de BVA pour le site de téléconsultations médicales Zava, que 20 Minutes dévoile en exclusivité ce lundi, révèle que 78 % des Français ont expérimenté ou craint le jugement d’un professionnel de santé. Une peur davantage exprimée chez les femmes : elles sont en effet 83 % à redouter les remarques désobligeantes, inappropriées ou encore « la leçon de morale ». Et cette crise de confiance touche surtout les médecins : 74 % de ces jugements redoutés émanent des praticiens, contre 9 % des infirmiers. Le problème, c’est que cette crainte, ou ce mauvais souvenir, freine dans leur démarche médicale 50 % des Français, selon ce même sondage. Un chiffre impressionnant, mais qui n’étonne pas le Dr Sophie Albe-Ly. « Certains patients n’arrivent pas à aborder des sujets, surtout intimes, reconnaît cette généraliste. Souvent, une consultation se termine, par un “au fait, docteur” et là, ils abordent le vrai sujet qui les préoccupe. » Autre problème mis au jour dans le sondage, la moitié des personnes interrogées qui, par crainte, ont retardé la consultation ont subi des répercussions négatives, 16 % ont remarqué un impact sur leur santé et 41 % ont subi des effets psychologiques. Taire ses souffrances et inquiétudes n’a pourtant rien d’anodin. « Le fait de ne pas avoir effectué un test pour les MST m’a beaucoup angoissée, reconnaît Flavie. Et je ne l’ai toujours pas fait… » Malheureusement, « une infection non traitée peut déboucher sur une stérilité », renchérit le Dr Sophie Albe-Ly. Et la spécialiste de déplorer, par exemple, l’augmentation de la chlamydia en France. Pour ce qui est des réflexions maladroites à l’adresse des patients, elles sont souvent involontaires, se défendelle, surtout quand une trentaine de personnes défilent chaque jour dans votre cabinet. « Rien ne sert de généraliser ou de blâmer à tout va. Tous les médecins sont humains avec leur culture, leurs convictions, leur background. On a le droit d’avoir des opinions, mais on n’est pas là pour faire la morale. »
Ce mauvais souvenir freine dans leur démarche médicale 50 % des patients.
Sondage BVA « Détromper un médecin, c’est lui rendre service. » Sophie Albe-Ly, généraliste installée au Royaume-Uni
Après une carrière en France, Sophie Albe-Ly s’est expatriée en Angleterre, où elle exerce depuis dix ans. Elle constate que la relation soignant-soigné n’est pas la même des deux côtés de la Manche. « Dans le système britannique, il y a moins cette relation verticale. Le médecin informe, accompagne, mais la décision revient au patient. » Une approche différente qui se lit aussi dans les études. « Au Royaume-Uni, j’ai suivi des cours sur la façon, dans un temps restreint, d’amener le patient à nous dire la vraie raison de sa venue. Je pense que l’on pourrait faire un effort d’éducation, de sensibilisation au dialogue pendant les études de médecine en France. » A ses yeux, « se remettre en question ne fait pas de mal, surtout dans une pratique où le but est d’aider les gens à être en bonne santé ! Détromper un médecin, c’est lui rendre service. »
* Étude réalisée par Internet du 20 au 24 avril 2017 auprès d’un échantillon de 1 000 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans ou plus.