Un tribunal criminel pour alléger les cours d’assises
Le gouvernement veut instaurer un tribunal criminel départemental chargé de juger notamment les viols, souvent correctionnalisés
Une petite révolution, préparée en toute discrétion. En mars, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a créé la surprise en évoquant pour la première fois l’expérimentation d’un tout nouveau tribunal. Instaurée par l’article 42 de la réforme de la justice (présentée ce vendredi en Conseil des ministres), cette juridiction inédite, baptisée « tribunal criminel départemental » (TCD), pourrait juger les crimes punis de quinze et vingt ans de réclusion criminelle. En France, seule la cour d’assises est aujourd’hui habilitée à juger les viols, les meurtres ou les vols à main armée. Or l’audience repose sur «l’oralité» des débats et nécessite un temps long pour entendre les témoins, les victimes, les experts et l’accusé(e). Pour justifier la mesure, le gouvernement évoque de fait « l’engorgement actuel des cours d’assises » et les «retards d’audiencement» pour lesquels la France a déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
« Hiérarchisation » des crimes
Pour Jean-Pierre Escarfail, père de l’une des victimes de Guy Georges et fondateur de l’Association pour la protection contre les agressions et crimes sexuels (Apacs), ce type de tribunal permettrait de lutter contre la « correctionnalisation » des viols. « Il y a un déni de justice dramatique, le viol est considéré comme un crime dans le Code pénal, mais, sur le terrain, on le juge majoritairement comme un délit», souffle-t-il. Aux classements sans suite, souvent décidés faute «d’infraction suffisamment caractérisée», s’ajoute la requalification des faits en agression sexuelle. «Un des viols de Guy Georges avait été correctionnalisé. Il n’avait été condamné qu’à cinq ans de prison et, quand il est sorti, il a recommencé», se souvient Jean-Pierre Escarfail. Fustigeant l’absence de « concertation» sur le sujet, le Conseil national des barreaux (CNB) est farouchement opposé à la mesure qui, notamment, risquerait d’instaurer une « hiérarchisation» des crimes. Les faits les plus graves impliquant des actes de barbarie, de torture ou des cas en récidive, resteront jugés aux assises. Mais les viols, vols à main armée et coups et blessures pourront, eux, se retrouver face aux magistrats professionnels des TCD. Or, souligne Pauline Rongier, pénaliste au barreau de Paris, «on voit parfois en correctionnelle des faits de viols sur de jeunes victimes audiencés en une heure trente. Et rien ne nous garantit que le tribunal criminel n’évoluera pas de cette façon.»