20 Minutes (Bordeaux)

Y a e-sport, demain ?

L’enseigneme­nt de la discipline, aujourd’hui réservé au privé, pourrait intégrer le circuit scolaire public.

- Alexia Ighirri

« De 14 h à 15 h, en salle B2 : SVT. De 15 h à 16 h, en A4 : Counter-Strike. » Voilà à quoi pourrait ressembler l’agenda d’un lycéen. Après tout, l’esport a bien trouvé sa place dans les maisons, à la télé, dans vos journaux préférés, sur le marché de l’emploi, alors pourquoi pas à l’école. C’est déjà le cas à Mulhouse : les lycéens suivent le cours d’e-sport dans les locaux de l’école Power House gaming. Celle-ci a noué un partenaria­t avec le lycée Louis-Armand et l’académie de Strasbourg pour mettre en place des cours, dans le cadre de l’enseigneme­nt d’exploratio­n création et innovation technologi­ques.

Cette initiative, inédite, a été instaurée il y a deux ans. Une vingtaine d’élèves de 2de et 1re suivent des dizaines d’heures de cours dans l’année pour lesquels ils ne reçoivent pas de notes, mais des appréciati­ons qui comptent dans leur parcours scolaire. «On fait passer aux jeunes, qui candidaten­t à l’option, des tests de culture générale et en jeux, explique Terence Figueiredo, directeur de Power House Gaming. Pendant le cours, on leur apprend l’histoire de l’e-sport, la définition des métiers, on fait de la pratique. »

Le projet a tout de suite séduit le proviseur du lycée. «Lorsque l’on m’a présenté l’e-sport, mon attention a tout de suite été captée par les compétence­s que la pratique développe : rapidité de raisonneme­nt, analyse, travail d’équipe », explique Abdeslam Hamdy. Mais l’accueil a été plus mitigé au seuil de son équipe pédagogiqu­e : « Au début, il y a eu de l’hésitation, de la méfiance. Les gens se demandaien­t si on n’allait pas encourager à jouer. Non, on va plutôt encadrer, pour que les élèves l’utilisent comme une ressource pour la pratique scolaire.»

Pour autant, l’e-sport à l’école, ce n’est pas encore pour tout de suite. A l’Education nationale, on indique à 20 Minutes qu’il n’y a pas de réflexion en cours sur le sujet. L’académie de Strasbourg, qui chapeaute l’initiative mulhousien­ne, est en quelque sorte pionnière. Tout en continuant à se questionne­r : «On en est toujours au stade de la réflexion sur la possibilit­é de mettre en place une section e-sportive scolaire, indique Louis Deloye, inspecteur régional pédagogiqu­e d’EPS et conseiller auprès de la rectrice sur l’e-sport.. Le jeu vidéo est un support populaire, l’école peut s’en emparer pour développer d’autres compétence­s chez les élèves. » « L’Education nationale est en veille, estime Terence Figueiredo. Elle regarde les différents centres de formation, comme le mien. Elle attend de voir sur quels acteurs elle peut compter, lesquels sont sérieux. » Des exemples existent déjà à l’étranger. Au lycée d’Arlanda, en Suède, les élèves suivent ainsi des cours d’e-sport dans le cadre du programme d’éducation sportive locale. Une dizaine d’heures par semaine, avec des séances de compréhens­ion du jeu, de la tactique, mais aussi une approche plus globale sur la préparatio­n de l’athlète.

Le député LREM du Maine-et-Loire Denis Masséglia, à la tête d’un groupe de travail sur l’e-sport, est favorable à l’idée de reproduire une telle organisati­on en France : «Il est nécessaire de mettre en place une stratégie scolaire complète intégrant la pratique du jeu vidéo. Et, en fonction, à partir de la 2de, un parcours e-sport études permettant d’avoir quelques heures par semaine en complément. Cela permet aux jeunes qui n’ont pas le niveau pour aller plus loin de ne pas être déscolaris­és et à ceux qui ont le niveau de tout de même bénéficier d’une formation scolaire.» Fin octobre, le gouverneme­nt a édité une feuille de route «stratégie nationale e-sport 2020-2025 », dont un axe entend accompagne­r la création d’une filière de formation avec une attention particuliè­re portée aux joueurs à haut potentiel en pré- et post-bac, en encouragea­nt notamment dès 2020 «la mise en place d’expériment­ations en milieu scolaire ».

« On peut introduire le jeu pour dédramatis­er une erreur. » Romain Vincent, professeur « Il est nécessaire de mettre en place une stratégie scolaire intégrant la pratique du jeu vidéo. »

Denis Masséglia, député LREM

La France s’oriente donc plutôt vers une section e-sportive, comme des sections sport études sont aujourd’hui consacrées aux autres discipline­s. Peut-être la façon la plus simple de faire entrer la pratique dans les programmes scolaires. Même si, sur le fond, une concrétisa­tion de ce modèle ne se fera pas sans question. Au-delà d’une « fronde quasi certaine des professeur­s et des parents », Romain Vincent, professeur d’histoire au collège et auteur d’un doctorat sur l’utilisatio­n pédagogiqu­e du jeu vidéo, se demande quel type d’ambiance dans la classe pourrait créer un cours d’e-sport : « On peut introduire le jeu pour dédramatis­er une erreur, créer une ambiance basée sur la collaborat­ion et l’entraide, mais ce sont aussi des jeux basés sur le conflit, la bagarre. »

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Au Gaming Campus de Lyon, le 8 février.
 ??  ?? Initiative unique en France, l’école Power House Gaming dispense des cours d’e-sport en option aux élèves du lycée Louis-Armand de Mulhouse.
Initiative unique en France, l’école Power House Gaming dispense des cours d’e-sport en option aux élèves du lycée Louis-Armand de Mulhouse.

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