Dix ans après la catastrophe, la page n’est pas tournée
La sociologue Cécile Asanuma-Brice raconte les difficultés des réfugiés, dix ans après la catastrophe
Le 11 mars 2011, au large du Japon, un séisme doublé d’un tsunami engendrait l’un des plus grands désastres de l’ère industrielle : l’accident nucléaire de Fukushima. Sociologue, chercheuse au CNRS et résidant au Japon depuis 2001, Cécile Asanuma-Brice (photo) a étudié les conséquences sociales de la gestion de la catastrophe, qu’elle retrace dans Fukushima, dix ans après (éd. de la Maison des sciences et de l’homme).
Ce dixième anniversaire est-il l’occasion de tourner la page ?
Le gouvernement japonais l’aimerait beaucoup. Dès 2014, il a mis en place une politique dont l’intitulé veut tout dire : « Communication du risque pour le retour ». Cette politique consiste à donner l’impression que tout va bien et à faire comprendre aux réfugiés qu’il va falloir songer à rentrer. En parallèle, depuis 2014, le gouvernement rouvre petit à petit les zones évacuées. En 2011, 11 communes l’avaient été, représentant un territoire de 1100 km².
La réalité est-elle plus compliquée ?
Oui, ne serait-ce parce que la décontamination n’est pas finie. Les compteurs Geiger affichent des niveaux de radiation parfois très élevés en certains endroits de zones rouvertes. Surtout, la majeure partie du territoire évacué en 2011 est constituée de forêts, qu’on ne sait pas aujourd’hui décontaminer.
Vous pointez aussi les conséquences sociales de cette catastrophe…
Pour le département de Fukushima, les chiffres officiels ont fait état de 160000 réfugiés. Beaucoup ont été relogés dans des logements publics vacants ou dans des logements d’urgence. Ces derniers étaient voulus comme provisoires, mais des réfugiés continuent de les habiter dix ans plus tard. C’est un signe de leur déclassement social.
Pourquoi peu de réfugiés retournent vivre dans les zones évacuées ?
En août 2019, seulement 35 % de la population était rentrée dans les 11 communes évacuées en 2011. On peut y voir, sans doute en partie, une perte de confiance à l’égard des dirigeants politiques. On leur répète que la situation est sous contrôle alors qu’on méconnaît les dangers qu’il yaàs’ exposer à des taux de radioactivité tels que l’on peut encore en rencontrer dans les zones touchées par la catastrophe. Une part non négligeable des réfugiés expliquent aussi avoir refait leur vie ailleurs. C’est plus souvent le cas pour les jeunes couples.
Les réfugiés les plus âgés sont-ils ceux qui acceptent le plus de retourner dans les zones évacuées ?
Majoritairement. Mais ces retours ne sont pas sans poser de nouvelles difficultés. Beaucoup des habitants qui ont accepté de revenir ne s’y retrouvent plus, vivent même parfois un nouveau choc traumatique. Au point, pour certains, de se laisser mourir.