20 Minutes (Bordeaux)

Taillés dans la peur

Après quatre ans d’enquête, l’anthropolo­gue Mathieu Burgalassi montre en quoi notre société nourrit l’angoisse de ceux qui se préparent au pire.

- Propos recueillis par Hélène Sergent

«Les survivalis­tes ne sont ni des fous de la fin du monde, ni de gentils randonneur­s.» Loin des clichés associés au mouvement, l’anthropolo­gue Mathieu Burgalassi (photo ci-contre) publie ce jeudi La Peur et la Haine (éd. Michel Lafon), résultat de quatre années d’enquête sur le survivalis­me.

Comment définir le survivalis­me ?

Le survivalis­me s’inscrit dans un rapport à une peur, celle de l’imminence d’une crise. Selon les survivalis­tes, face aux pénuries alimentair­es ou médicales, face à la disparitio­n des institutio­ns, l’homme deviendra un loup pour l’homme. C’est pour ça qu’ils apprennent le tir, la self-défense ou qu’ils participen­t à des stages de survie paramilita­ires.

Comment l’expliquez-vous ?

La question sécuritair­e est au centre du débat politique depuis des années. Ce discours fabrique un profond sentiment de peur. Certaines personnes vont s’engager dans des pratiques qui vont leur permettre de mettre quelque chose entre elles et cette peur. Sauf que ces pratiques aboutissen­t à apprendre la violence. Et plus on apprend la violence, plus on l’entretient. Le survivalis­me ne guérit pas la peur, il l’alimente.

Quelle place la haine de l’autre occupe-t-elle dans ce milieu ?

J’ai rencontré des personnes qui m’ont dit : « Je me prépare à une guerre avec les arabo-musulmans.» Juste après, elles me disaient : « Je ne suis pas raciste. » Je me disais : « Pourquoi des gens qui tiennent un tel discours ne se pensent-ils pas comme racistes ? » Parce que les politiques sécuritair­es désignent aussi des population­s. Quand Gérald Darmanin [ministre de l’Intérieur] propose le projet de loi contre le séparatism­e et qu’il relie ça à «l’ensauvagem­ent » de la société, il dit : « Vous êtes exposés à de la violence, et il y a des responsabl­es.» Bien souvent, ce sont les musulmans français.

Après avoir adhéré au survivalis­me et l’avoir étudié, quel regard portezvous sur ce mouvement ?

J’ai adhéré quand j’étais étudiant et dans une situation de précarité sociale très forte. Le survivalis­me venait répondre à des angoisses liées au quotidien. Quand j’ai vu la violence du mouvement, cet intérêt personnel est devenu profession­nel. Aujourd’hui, j’essaie d’avoir une vision optimiste des choses. C’est peut-être quand on croit à l’effondreme­nt qu’il arrive.

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Lors du Salon du survivalis­me, à Paris, en mars 2018.
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