Taillés dans la peur
Après quatre ans d’enquête, l’anthropologue Mathieu Burgalassi montre en quoi notre société nourrit l’angoisse de ceux qui se préparent au pire.
«Les survivalistes ne sont ni des fous de la fin du monde, ni de gentils randonneurs.» Loin des clichés associés au mouvement, l’anthropologue Mathieu Burgalassi (photo ci-contre) publie ce jeudi La Peur et la Haine (éd. Michel Lafon), résultat de quatre années d’enquête sur le survivalisme.
Comment définir le survivalisme ?
Le survivalisme s’inscrit dans un rapport à une peur, celle de l’imminence d’une crise. Selon les survivalistes, face aux pénuries alimentaires ou médicales, face à la disparition des institutions, l’homme deviendra un loup pour l’homme. C’est pour ça qu’ils apprennent le tir, la self-défense ou qu’ils participent à des stages de survie paramilitaires.
Comment l’expliquez-vous ?
La question sécuritaire est au centre du débat politique depuis des années. Ce discours fabrique un profond sentiment de peur. Certaines personnes vont s’engager dans des pratiques qui vont leur permettre de mettre quelque chose entre elles et cette peur. Sauf que ces pratiques aboutissent à apprendre la violence. Et plus on apprend la violence, plus on l’entretient. Le survivalisme ne guérit pas la peur, il l’alimente.
Quelle place la haine de l’autre occupe-t-elle dans ce milieu ?
J’ai rencontré des personnes qui m’ont dit : « Je me prépare à une guerre avec les arabo-musulmans.» Juste après, elles me disaient : « Je ne suis pas raciste. » Je me disais : « Pourquoi des gens qui tiennent un tel discours ne se pensent-ils pas comme racistes ? » Parce que les politiques sécuritaires désignent aussi des populations. Quand Gérald Darmanin [ministre de l’Intérieur] propose le projet de loi contre le séparatisme et qu’il relie ça à «l’ensauvagement » de la société, il dit : « Vous êtes exposés à de la violence, et il y a des responsables.» Bien souvent, ce sont les musulmans français.
Après avoir adhéré au survivalisme et l’avoir étudié, quel regard portezvous sur ce mouvement ?
J’ai adhéré quand j’étais étudiant et dans une situation de précarité sociale très forte. Le survivalisme venait répondre à des angoisses liées au quotidien. Quand j’ai vu la violence du mouvement, cet intérêt personnel est devenu professionnel. Aujourd’hui, j’essaie d’avoir une vision optimiste des choses. C’est peut-être quand on croit à l’effondrement qu’il arrive.