Une levée des brevets de vaccin loin d’être réalisée
Le médecin Martin Blachier analyse l’annonce des EtatsUnis en faveur de la levée des brevets
Une décision jugée «historique» par le patron de l’OMS et à laquelle Emmanuel Macron s’est dit, jeudi, favorable. Mercredi, les Etats-Unis ont annoncé qu’ils étaient en faveur de la levée des brevets sur les vaccins contre le Covid-19. Martin Blachier (photo), médecin de santé publique, explique pourquoi l’annonce provoque l’inquiétude des laboratoires, notamment celle du PDG de Pfizer, qui s’y est opposé jeudi.
Pourquoi la levée des brevets sur les vaccins est-elle présentée comme un levier dans la lutte contre l’épidémie ?
L’argument, c’est que cela permettrait de produire plus massivement et moins cher les vaccins. Lever un brevet signifie que l’on enlève la propriété intellectuelle sur une molécule thérapeutique. Ça veut dire que n’importe qui étant capable de la fabriquer et de la commercialiser peut la copier. Les grands pays producteurs de vaccins génériques, comme l’Inde et l’Afrique du Sud, pourraient donc se mettre à produire et vendre un vaccin « Pfizer bis ».
Pourquoi cette annonce a-t-elle provoqué une levée de boucliers des laboratoires pharmaceutiques ?
Tout d’abord, les laboratoires assurent que faire tomber les brevets aujourd’hui n’augmentera pas la production parce qu’ils sont limités par le manque de matières premières. D’autre part, on risque d’ouvrir une porte juridique qui fait très peur à l’industrie pharmaceutique. Les laboratoires lèvent des fonds sur les marchés pour lancer des programmes de développement. Le brevet est la seule garantie d’avoir une rentabilité pendant un certain temps. Donc si on les supprime, on tue un système rodé depuis cinquante ans qui permet de produire beaucoup de molécules et que les Etats ne sont pas capables de remplacer.
Les Etats-Unis peuvent-ils prendre cette décision sans l’Europe ?
Bien que la plupart des vaccins soient américains, la décision doit être collective en adhésion avec les pays européens et ne peut pas être prise unilatéralement. Mais comme n’on aura jamais tout le monde d’accord, ça risque de ne jamais se faire. Je pense que les Etats-Unis le savent et que cette déclaration est surtout politique. Par ailleurs, si les Etats-Unis lèvent nos brevets sans accord, cela veut dire que l’on peut aussi lever des brevets sur leurs produits et produire toutes les molécules faites par les laboratoires américains. A ce moment-là, c’est la guerre des brevets, donc la fin de la propriété intellectuelle et la fin de la recherche.