Relocaliser le cornichon, une mission qui ne manque pas de piquant
En Indre-et-Loire, la PME Reitzel et des agriculteurs tentent de relocaliser la cucurbitacée
« Le cornichon fait partie de ces productions agricoles que l’on a perdues en France avec l’industrialisation de l’agriculture. »
Yuna Chiffoleau
Pas de pluie et, idéalement, une température de 25°C. D’une certaine façon, le cornichon a les mêmes exigences qu’un grand nombre de vacanciers. À Cangey (Indreet-Loire), Sylvain Tessier, agriculteur en association avec son épouse et son beau-frère, affichait du coup une mine fataliste le 3 août, après des semaines de mauvais temps, devant les 3 ha de l’exploitation familiale consacrés à la culture de la cucurbitacée : « L’essentiel [de la récolte] se fait entre le 5 juillet et le 15 août. On ramassait jusqu’à 20 t de cornichons par hectare. Ce devrait être moitié moins cette fois-ci. »
Chez Reitzel, PME agroalimentaire qui achète toute la récolte de Sylvain Tessier, on préfère relativiser. « Les conditions météorologiques de 2019 et 2020 ont été exceptionnelles en France pour les cornichons, rappelle Morgane Gaweda, cheffe de Jardin d’Orante, l’une des trois marques de cornichons de l’entreprise. On devrait revenir cette année à des rendements plus classiques. » Reitzel prévoit tout de même de voir passer quelque 150 t de cornichons français bio et autour de 350 t en conventionnel. « De quoi sortir 1,1 million de bocaux contre 800 000 l’an dernier », envisage Morgane Gaweda. Avec une étiquette spéciale bleu, blanc, rouge, ces cornichons français seront commercialisés sous la marque Jardin d’Orante, mais aussi Bravo Hugo (sa marque bio) et Hugo Reitzel (pour la restauration). L’ensemble couvre à peine 1 % de la consommation française de cornichons. Le reste vient « à 80 % d’Inde, 15 % des pays de l’Est », liste Morgane Gaweda. Il n’en fut pas toujours ainsi. « Ici, beaucoup d’agriculteurs consacraient une partie de leurs champs au cornichon jusque dans les années 1990 », indique Sylvain Tessier. Le constat ne vaut pas que pour la région tourangelle mais s’applique aussi à la Bourgogne et à la Normandie. Que s’est-il donc passé ? « Le cornichon fait partie de ces productions agricoles que l’on a perdues en France avec l’industrialisation de l’agriculture », raconte Yuna Chiffoleau, directrice de recherche en sociologie à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
Pour le cornichon, ce n’est pas la seule raison, glisse Morgane Gaweda : « L’Inde est tout simplement son pays d’origine et les conditions climatiques font que trois récoltes y sont possibles par an, contre une seule en France. » Reitzel a, lui-même, sa filière indienne d’où proviennent d’ailleurs la majorité des cornichons qu’il commercialise en France (sans l’étiquetage bleu, blanc, rouge du coup). Tout le pari de la PME est d’estimer si le contexte est de nouveau favorable à la relance, en parallèle d’une filière française du cornichon, en circuit court autour de ses usines. « On a commencé en 2016 avec deux agriculteurs partenaires et de quoi faire 112 000 bocaux après la première récolte », indique Morgane Gaweda, pour souligner que le projet a bien grandi en cinq ans. « Dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres, nous sommes désormais huit producteurs à avoir remis du cornichon dans les champs », calcule Sylvain Tessier. Pourtant, la culture n’est pas des plus simples. « Le fruit peut doubler de volume en une seule journée, illustre l’agriculteur. Or, en France, on a pris l’habitude de manger du cornichon extrafin. Il faut donc passer régulièrement dans les champs pour cueillir le cornichon à cette taille. » Pour cette raison, la culture du cornichon nécessite beaucoup de main-d’oeuvre. Jusqu’à 15 personnes par hectare chez Sylvain Tessier.
Mais la culture de la cucurbitacée a aussi ses avantages. Celui déjà d’apporter un complément de revenu aux agriculteurs. « Les précédentes saisons, nous sommes parvenus à dégager 10 000 €/ha, un bon ratio d’autant plus que la saison est courte, précise Sylvain Tessier. Le cornichon facilite aussi la rotation des cultures et est économe en eau, bon point dans ce contexte de changement climatique. » Si la filière balbutie encore, elle ne demande qu’à grandir, à écouter Morgane Gaweda, qui dit recevoir des appels réguliers d’agriculteurs désireux de rejoindre le mouvement : « Le hic est qu’on se heurte à un plafond de verre. Peu de Français ont conscience que les cornichons qu’ils achètent viennent de l’étranger et ne cherchent donc pas du made in France sur ce produit. »
« Le cornichon facilite aussi la rotation des cultures et est économe en eau. »
Sylvain Tessier