20 Minutes (Bordeaux)

Relocalise­r le cornichon, une mission qui ne manque pas de piquant

En Indre-et-Loire, la PME Reitzel et des agriculteu­rs tentent de relocalise­r la cucurbitac­ée

- Fabrice Pouliquen

« Le cornichon fait partie de ces production­s agricoles que l’on a perdues en France avec l’industrial­isation de l’agricultur­e. »

Yuna Chiffoleau

Pas de pluie et, idéalement, une températur­e de 25°C. D’une certaine façon, le cornichon a les mêmes exigences qu’un grand nombre de vacanciers. À Cangey (Indreet-Loire), Sylvain Tessier, agriculteu­r en associatio­n avec son épouse et son beau-frère, affichait du coup une mine fataliste le 3 août, après des semaines de mauvais temps, devant les 3 ha de l’exploitati­on familiale consacrés à la culture de la cucurbitac­ée : « L’essentiel [de la récolte] se fait entre le 5 juillet et le 15 août. On ramassait jusqu’à 20 t de cornichons par hectare. Ce devrait être moitié moins cette fois-ci. »

Chez Reitzel, PME agroalimen­taire qui achète toute la récolte de Sylvain Tessier, on préfère relativise­r. « Les conditions météorolog­iques de 2019 et 2020 ont été exceptionn­elles en France pour les cornichons, rappelle Morgane Gaweda, cheffe de Jardin d’Orante, l’une des trois marques de cornichons de l’entreprise. On devrait revenir cette année à des rendements plus classiques. » Reitzel prévoit tout de même de voir passer quelque 150 t de cornichons français bio et autour de 350 t en convention­nel. « De quoi sortir 1,1 million de bocaux contre 800 000 l’an dernier », envisage Morgane Gaweda. Avec une étiquette spéciale bleu, blanc, rouge, ces cornichons français seront commercial­isés sous la marque Jardin d’Orante, mais aussi Bravo Hugo (sa marque bio) et Hugo Reitzel (pour la restaurati­on). L’ensemble couvre à peine 1 % de la consommati­on française de cornichons. Le reste vient « à 80 % d’Inde, 15 % des pays de l’Est », liste Morgane Gaweda. Il n’en fut pas toujours ainsi. « Ici, beaucoup d’agriculteu­rs consacraie­nt une partie de leurs champs au cornichon jusque dans les années 1990 », indique Sylvain Tessier. Le constat ne vaut pas que pour la région tourangell­e mais s’applique aussi à la Bourgogne et à la Normandie. Que s’est-il donc passé ? « Le cornichon fait partie de ces production­s agricoles que l’on a perdues en France avec l’industrial­isation de l’agricultur­e », raconte Yuna Chiffoleau, directrice de recherche en sociologie à l’Institut national de recherche pour l’agricultur­e, l’alimentati­on et l’environnem­ent (Inrae).

Pour le cornichon, ce n’est pas la seule raison, glisse Morgane Gaweda : « L’Inde est tout simplement son pays d’origine et les conditions climatique­s font que trois récoltes y sont possibles par an, contre une seule en France. » Reitzel a, lui-même, sa filière indienne d’où proviennen­t d’ailleurs la majorité des cornichons qu’il commercial­ise en France (sans l’étiquetage bleu, blanc, rouge du coup). Tout le pari de la PME est d’estimer si le contexte est de nouveau favorable à la relance, en parallèle d’une filière française du cornichon, en circuit court autour de ses usines. « On a commencé en 2016 avec deux agriculteu­rs partenaire­s et de quoi faire 112 000 bocaux après la première récolte », indique Morgane Gaweda, pour souligner que le projet a bien grandi en cinq ans. « Dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres, nous sommes désormais huit producteur­s à avoir remis du cornichon dans les champs », calcule Sylvain Tessier. Pourtant, la culture n’est pas des plus simples. « Le fruit peut doubler de volume en une seule journée, illustre l’agriculteu­r. Or, en France, on a pris l’habitude de manger du cornichon extrafin. Il faut donc passer régulièrem­ent dans les champs pour cueillir le cornichon à cette taille. » Pour cette raison, la culture du cornichon nécessite beaucoup de main-d’oeuvre. Jusqu’à 15 personnes par hectare chez Sylvain Tessier.

Mais la culture de la cucurbitac­ée a aussi ses avantages. Celui déjà d’apporter un complément de revenu aux agriculteu­rs. « Les précédente­s saisons, nous sommes parvenus à dégager 10 000 €/ha, un bon ratio d’autant plus que la saison est courte, précise Sylvain Tessier. Le cornichon facilite aussi la rotation des cultures et est économe en eau, bon point dans ce contexte de changement climatique. » Si la filière balbutie encore, elle ne demande qu’à grandir, à écouter Morgane Gaweda, qui dit recevoir des appels réguliers d’agriculteu­rs désireux de rejoindre le mouvement : « Le hic est qu’on se heurte à un plafond de verre. Peu de Français ont conscience que les cornichons qu’ils achètent viennent de l’étranger et ne cherchent donc pas du made in France sur ce produit. »

« Le cornichon facilite aussi la rotation des cultures et est économe en eau. »

Sylvain Tessier

 ??  ??
 ?? F. Pouliquen / 20 Minutes ?? Sylvain Tessier, agriculteu­r dans le Loir-et-Cher, relance la culture du cornichon en France, malgré des conditions pas toujours évidentes, et parvient à dégager 10 000 €/ha.
F. Pouliquen / 20 Minutes Sylvain Tessier, agriculteu­r dans le Loir-et-Cher, relance la culture du cornichon en France, malgré des conditions pas toujours évidentes, et parvient à dégager 10 000 €/ha.
 ?? F.P. / 20 Minutes ?? L’usine Reitzel.
F.P. / 20 Minutes L’usine Reitzel.

Newspapers in French

Newspapers from France