L’invisibilisation excelle aussi au pays des pixels
Des personnes en situation de handicap exigent des avatars qui leur ressemblent pour ne pas être invisibilisées
Si les premières briques du métavers sont posées, tout reste à construire. Alors que la création de nouveaux usages est en train de se jouer, un mouvement venu des États-Unis alerte contre l’invisibilisation des personnes en situation de handicap physique ou mental.
Que ce soit dans le design des univers ou des avatars, « la prise en compte des personnes avec des déficiences est encore embryonnaire dans le métavers, estime Maude Bonenfant, professeure à l’université du Québec. Elle est pourtant essentielle : sans représentation, un sentiment d’exclusion se crée chez les personnes concernées, avant même de savoir si elles pourraient profiter d’usages intéressants. » Et de poursuivre : « Cela a été le cas avec les jeux vidéo dans les années 1990. Il y avait très peu de représentations pertinentes de personnages féminins. Elles étaient soit stéréotypées ou hypersexualisées. » Difficile pour des joueuses potentielles de s’y identifier. Mais les promesses affichées aujourd’hui par le métavers vont bien au-delà. « Si les mondes virtuels s’orientent vers une reproduction de notre quotidien – avec des interactions sociales, des achats, des activités culturelles, éducatives ou encore professionnelles – l’inclusion est d’autant plus primordiale », souligne la professeure.
L’avatar, une construction identitaire
Face à ce constat, des initiatives commencent à émerger. En avril dernier, la marque de déodorant Rexona a organisé sur la plateforme Decentraland un marathon virtuel, où l’architecture était pensée comme accessible avec des rampes pour les personnes en fauteuil roulant, par exemple. Une bibliothèque inclusive a été créée spécialement pour proposer des avatars dotés de prothèses ou de lames de course.
De son côté, Ready Player Me, studio de conception d’avatars, permet aux « développeurs partenaires d’intégrer des attributs, comme des béquilles ou des fauteuils roulants, par exemple », explique Daniel Marcinkowski, responsable marketing des contenus. L’entreprise veut aller plus loin et travaille à « améliorer la prise en compte de l’âge, des traits du visage, et la possibilité de modifier les formes et la taille du corps de l’avatar ». D’autres projets se structurent, comme NFTY Collective. « Avec plus d’un milliard de personnes handicapées dans le monde – dont souvent des handicaps qui ne sont pas visibles – il est primordial de favoriser l’inclusion, explique l’Américaine Giselle Mota, sa fondatrice. Au cours de cette année, le collectif a créé une douzaine d’avatars inclusifs dans un projet baptisé « unhidden collection ». Dans un premier temps, ceux-ci seront déployés dans l’application de réalité augmentée Wanderland. « On cherche à collaborer avec les créateurs de plateformes et de technologies pour étendre l’utilisation de ces personnages à travers des jeux, des NFT, des filtres, etc. L’idée est de permettre aux personnes en situation de handicap de choisir un avatar à leur effigie, qui reflète leur véritable identité physique si elles le souhaitent », souligne-t-elle.
Inclusion à tous les étages
Car la représentation virtuelle est toute aussi importante que le réel, estime Maude Bonenfant. « Bien souvent, les personnes non joueuses ne mesurent pas pleinement les expériences vécues à travers un avatar. Celuici est une construction identitaire, par laquelle nous pouvons vivre des expériences basées sur les mêmes dynamiques sociales que celles du monde réel : développer un sentiment d’appartenance à une communauté, obtenir une reconnaissance sociale… énumère la professeure. À cela s’ajoutent des critères propres aux mondes virtuels. Par exemple, il est possible de créer de nouveaux liens sociaux sans a priori. Dans le métavers, il n’y a pas de classe sociale, de genre ou encore d’origine ethnique.
De quoi enrichir la vie sociale de l’individu. »
Au-delà des déclarations de bonnes intentions, comment rendre le métavers plus inclusif en pratique ? « Les espaces physiques et les technologies ont souvent tardé à prendre en compte les personnes avec des déficiences – et aujourd’hui encore, l’accessibilité reste un défi malgré la présence de normes et de lois visant à garantir le contraire, souligne Giselle Mota. Il est important que les mondes virtuels soient conçus avec et par des personnes en situation de handicap – et pas seulement “pour elles”. » Un métavers plus ouvert passera par « une diversification des équipes de production. Dès lors que des femmes, des minorités sexuelles ou des personnes avec des déficiences sont intégrées, leurs réalités sont naturellement prises en compte dans les projets », abonde Maude Bonenfant. Il y a du pixel sur la planche.
Pour ces publics, la représentation virtuelle devient aussi importante que le réel.
Le NFTY Collective a créé plusieurs avatars (sous le nom « the unhidden collection », « la collection qui s’affiche ») représentant des figures du Web3 et de l’inclusion porteuses de handicap, visible ou invisible. Ici, le vidéaste Isaac Harvey et la CEO de The Mathpath, Audrey Blanche. Le premier est né avec une hypoplasie qui a affecté le développement de ses membres, la seconde est bipolaire.