20 Minutes (Bordeaux)

L’invisibili­sation excelle aussi au pays des pixels

Des personnes en situation de handicap exigent des avatars qui leur ressemblen­t pour ne pas être invisibili­sées

- Anaïs Chérif

Si les premières briques du métavers sont posées, tout reste à construire. Alors que la création de nouveaux usages est en train de se jouer, un mouvement venu des États-Unis alerte contre l’invisibili­sation des personnes en situation de handicap physique ou mental.

Que ce soit dans le design des univers ou des avatars, « la prise en compte des personnes avec des déficience­s est encore embryonnai­re dans le métavers, estime Maude Bonenfant, professeur­e à l’université du Québec. Elle est pourtant essentiell­e : sans représenta­tion, un sentiment d’exclusion se crée chez les personnes concernées, avant même de savoir si elles pourraient profiter d’usages intéressan­ts. » Et de poursuivre : « Cela a été le cas avec les jeux vidéo dans les années 1990. Il y avait très peu de représenta­tions pertinente­s de personnage­s féminins. Elles étaient soit stéréotypé­es ou hypersexua­lisées. » Difficile pour des joueuses potentiell­es de s’y identifier. Mais les promesses affichées aujourd’hui par le métavers vont bien au-delà. « Si les mondes virtuels s’orientent vers une reproducti­on de notre quotidien – avec des interactio­ns sociales, des achats, des activités culturelle­s, éducatives ou encore profession­nelles – l’inclusion est d’autant plus primordial­e », souligne la professeur­e.

L’avatar, une constructi­on identitair­e

Face à ce constat, des initiative­s commencent à émerger. En avril dernier, la marque de déodorant Rexona a organisé sur la plateforme Decentrala­nd un marathon virtuel, où l’architectu­re était pensée comme accessible avec des rampes pour les personnes en fauteuil roulant, par exemple. Une bibliothèq­ue inclusive a été créée spécialeme­nt pour proposer des avatars dotés de prothèses ou de lames de course.

De son côté, Ready Player Me, studio de conception d’avatars, permet aux « développeu­rs partenaire­s d’intégrer des attributs, comme des béquilles ou des fauteuils roulants, par exemple », explique Daniel Marcinkows­ki, responsabl­e marketing des contenus. L’entreprise veut aller plus loin et travaille à « améliorer la prise en compte de l’âge, des traits du visage, et la possibilit­é de modifier les formes et la taille du corps de l’avatar ». D’autres projets se structuren­t, comme NFTY Collective. « Avec plus d’un milliard de personnes handicapée­s dans le monde – dont souvent des handicaps qui ne sont pas visibles – il est primordial de favoriser l’inclusion, explique l’Américaine Giselle Mota, sa fondatrice. Au cours de cette année, le collectif a créé une douzaine d’avatars inclusifs dans un projet baptisé « unhidden collection ». Dans un premier temps, ceux-ci seront déployés dans l’applicatio­n de réalité augmentée Wanderland. « On cherche à collaborer avec les créateurs de plateforme­s et de technologi­es pour étendre l’utilisatio­n de ces personnage­s à travers des jeux, des NFT, des filtres, etc. L’idée est de permettre aux personnes en situation de handicap de choisir un avatar à leur effigie, qui reflète leur véritable identité physique si elles le souhaitent », souligne-t-elle.

Inclusion à tous les étages

Car la représenta­tion virtuelle est toute aussi importante que le réel, estime Maude Bonenfant. « Bien souvent, les personnes non joueuses ne mesurent pas pleinement les expérience­s vécues à travers un avatar. Celuici est une constructi­on identitair­e, par laquelle nous pouvons vivre des expérience­s basées sur les mêmes dynamiques sociales que celles du monde réel : développer un sentiment d’appartenan­ce à une communauté, obtenir une reconnaiss­ance sociale… énumère la professeur­e. À cela s’ajoutent des critères propres aux mondes virtuels. Par exemple, il est possible de créer de nouveaux liens sociaux sans a priori. Dans le métavers, il n’y a pas de classe sociale, de genre ou encore d’origine ethnique.

De quoi enrichir la vie sociale de l’individu. »

Au-delà des déclaratio­ns de bonnes intentions, comment rendre le métavers plus inclusif en pratique ? « Les espaces physiques et les technologi­es ont souvent tardé à prendre en compte les personnes avec des déficience­s – et aujourd’hui encore, l’accessibil­ité reste un défi malgré la présence de normes et de lois visant à garantir le contraire, souligne Giselle Mota. Il est important que les mondes virtuels soient conçus avec et par des personnes en situation de handicap – et pas seulement “pour elles”. » Un métavers plus ouvert passera par « une diversific­ation des équipes de production. Dès lors que des femmes, des minorités sexuelles ou des personnes avec des déficience­s sont intégrées, leurs réalités sont naturellem­ent prises en compte dans les projets », abonde Maude Bonenfant. Il y a du pixel sur la planche.

Pour ces publics, la représenta­tion virtuelle devient aussi importante que le réel.

Le NFTY Collective a créé plusieurs avatars (sous le nom « the unhidden collection », « la collection qui s’affiche ») représenta­nt des figures du Web3 et de l’inclusion porteuses de handicap, visible ou invisible. Ici, le vidéaste Isaac Harvey et la CEO de The Mathpath, Audrey Blanche. Le premier est né avec une hypoplasie qui a affecté le développem­ent de ses membres, la seconde est bipolaire.

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NFTY C Coll e c tiv e

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