La fiction épouse la cause gay
« 120 Battements par minute », « Les Engagés », « Fiertés »... Le militantisme lesbien, gay, bisexuel et transgenre (LGBT) est une nouvelle source d’inspiration pour les scénaristes.
Des activistes d’Act Up aspergent de faux sang les locaux d’un labo pharmaceutique. Des militants lyonnais protestent devant une mairie contre les propos homophobes d’un élu. Des homos se mobilisent pour le vote du pacs et du mariage pour tous. Ces scènes apparaissent respectivement dans le film 120 Battements par
minute (sortie le 23 août) et les séries « Les Engagés » (sur YouTube et le site de Studio 4) et « Fiertés » (bientôt sur Arte). Ces trois fictions donnent leur vision des luttes pour les droits des personnes LGBT. Pendant longtemps, les homos et les trans, à la télé ou au cinéma, avaient le choix entre souffrir ou faire rire, souvent à grand renfort de stéréotypes. En revanche, on les a rarement (jamais ?) vus se battre pour leurs droits, s’élever contre l’homophobie ou s’indigner du silence des pouvoirs publics au plus haut de l’épidémie du sida. De la même manière, les médias traitent la Marche des fiertés (la Gay Pride), qui se déroule samedi à Paris, sous son angle festif et haut en couleur. Les revendications sont reléguées au second plan. La très militante Pride de nuit, qui défilera ce vendredi soir dans la capitale, sera, elle, sans doute timidement relayée dans la presse.
En 2011, Sullivan Le Postec, scénariste des « Engagés », présentait son idée à un producteur, et se vit répondre quelque chose comme : « En quoi estce que la question du militantisme des homos est pertinente? C’est réglé aujourd’hui, non? » Quelques mois après, Civitas défilait dans les rues avec une banderole « La France a besoin d’enfants, pas d’homosexuels ». « Les défilés de la Manif pour tous et le regain d’homophobie lors de l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe a entraîné une prise de conscience chez les pros de l’audiovisuel », avance le scénariste. « Le combat existe encore aujourd’hui, il existera encore demain, en France, dans le monde », affirme Chantal Fischer de 13 Productions, qui tient beaucoup à « Fiertés » de Philippe Faucon. La série retrace les différentes étapes vers l’égalité des droits en France, de la dépénalisation de l’homosexualité à la loi Taubira. « La question du militantisme en général est plus accessible, via Internet et les réseaux sociaux, note Hélène Breda, chercheuse en sciences de l’information et de la communication, spécialiste des séries TV. C’est une thématique à laquelle un plus large public est sensibilisé. »
De l’intime à l’universel
Au début des années 1990, Robin Campillo militait au sein d’Act Up. En mai, il est reparti du Festival de Cannes avec le grand prix du jury pour 120 Battements par minute, qui raconte en partie son vécu dans l’association. S’il assurait que son film est une fiction, il déclarait à Libération : « J’essaie de rebattre les cartes et de reconstituer un édifice qui serait un peu comme chez moi. Une cartographie intime, mouvante. » Aller de l’intime à l’universel, c’est un des axes communs de 120 Battements par minute, « Fiertés » et « Les Engagés ». Cette dernière suit le parcours d’Hicham, un jeune gay quittant sa banlieue pour Lyon et allant à la rencontre de Thibaut, un homo militant et grande gueule. « Je savais que notre premier public serait LGBT, et j’ai l’ambition, l’espoir, que si ça fonctionne, on arrivera à dépasser ce public », avance le scénariste Sullivan Le Postec. Ses producteurs écrivent dans leur note d’intention : « Nous sommes touchés par le parcours [des personnages] sans pour autant être en empathie avec le milieu LGBT. (…) Nous ne militons pas pour une cause. » Des phrases au mieux maladroitement formulées, ou, pire, qui associent le militantisme à quelque chose de péjoratif. « Le simple fait d’évoquer le militantisme, c’est parler des revendications, souligne pourtant Hélène Breda. Représenter des personnes LGBT à l’écran a une dimension politique, engagée. Pour un personnage homo, combien en voit-on d’hétéros? » La boucle est bouclée : concrétiser un projet sur le militantisme LGBT implique de militer.