20 Minutes (Lille)

Le « mégenrage », une discrimina­tion quotidienn­e

Se tromper volontaire­ment sur l’identité d’une personne trans est une pratique méconnue, mais très répandue

- Hélène Sergent

« Que feriez-vous si, systématiq­uement, dans l’espace public, votre identité de genre était remise en cause? Si, au lieu de dire madame, on vous appelait monsieur et vice versa ? », interroge Clémence Zamora-Cruz, porte-parole de l’inter-LGBT. Une vraie violence, commise volontaire­ment ou non, omniprésen­te dans le quotidien des personnes transgenre­s, et qui porte un nom : le « mégenrage ».

Une souffrance, une menace

« C’est sans arrêt dans la vie quotidienn­e et sur les documents, écrit Patricia, après un appel à témoins lancé par 20 Minutes. C’est terrible, cela me pose de gros problèmes et beaucoup de gens le font exprès pour blesser, nuire et atteindre à ma vie privée. » Clara confirme : « C’est tout simplement recevoir sans arrêt les lettres du CHU ou d’autres organismes avec écrit sur l’enveloppe ou l’en-tête “Monsieur Clara”. C’est aussi se voir refuser un colis à la poste, car on ne “colle pas” avec notre carte d’identité. » Arnaud Alessandri­n, docteur en sociologie de l’université de Bordeaux et spécialist­e de la transident­ité, s’est penché pendant de longs mois sur cette discrimina­tion avec sa collègue Johanna Dagorn : « Selon notre enquête réalisée à Bordeaux, 77 % des personnes trans disent avoir subi du “mégenrage” dans les services publics de la ville au cours des douze derniers mois. Et c’est une menace, car cela revient à dire publiqueme­nt que la personne est trans. » Une situation vécue par Guilhème, lors d’un rendez-vous médical : « Je devais consulter un médecin pour des soins en ophtalmo dans un hôpital (…). Malgré toutes les explicatio­ns fournies au docteur, il m’a “mégenrée” volontaire­ment et obstinémen­t, en présence des autres patients, dans la salle d’attente. » Cette discrimina­tion, quand elle se passe sur le lieu de travail, porte aussi à conséquenc­e : « Lorsqu’une personne trans demande par exemple à ses collègues et sa hiérarchie de respecter son genre et qu’elle ne l’obtient pas, cela va mettre en place un mécanisme d’exclusion, créer un mal-être qui peut entraîner une dépression», souligne Clémence Zamora-Cruz. Une souffrance décrite par Patricia : « Les administra­tions n’ont aucun respect pour notre identité de genre. Quand je vais porter plainte, ils jouent avec les civilités, je n’en peux plus, je n’arrive pas à vivre normalemen­t. » La violence peut s’exercer également dans la sphère familiale. Guilhème a entamé sa transition en 2010 : « Mon frère (…) [y] a été dès le début très hostile et il m’a mégenrée jusqu’en 2018. » Arnaud Alessandri­n précise que le «mégenrage» se voit parfois « chez les parents qui accompagne­nt leur enfant trans et qui ont besoin d’un temps d’adaptation. Mais, qu’il soit intentionn­el ou pas, c’est toujours une épreuve. »

 ??  ?? Le « mégenrage » a lieu dans les sphères publique, profession­nelle et familiale.
Le « mégenrage » a lieu dans les sphères publique, profession­nelle et familiale.

Newspapers in French

Newspapers from France