Les plumes de la fraternité
Etats-Unis Peu connue, l’histoire des Indiens de Mardi gras, les Black Indians, est pourtant indissociable de la ville de La Nouvelle-Orléans
Il y a des passages obligés. Le quartier français et son Vieux Carré, poumon de la vie nocturne et musicale de la ville, sont des incontournables de La Nouvelle-Orléans. Suivre les pas des Indiens de Mardi gras est plus délicat. Ces Afro-Américains font étalage de leur culture amérindienne en revêtant des costumes colorés : ils se mettent alors à danser dans des postures de guerrier, criant et chantant.
Pour les retardataires, les big chiefs Donald Harrison Jr et Monk Boudreaux exhiberont leur coiffe en plumes lors du festival Jazz and Heritage, qui se déroule jusqu’au 5 mai à La Nouvelle-Orléans. « Les origines de cette coutume remontent au siècle », explique Paul Nevski, guide touristique spécialisé dans l’histoire afro-américaine et créole. « En Louisiane, de nombreux esclaves noirs furent accueillis par des tribus amérindiennes. Ils recevaient alors une coiffe faite de plumes en plus d’un nom indien. »
Un impact sur les fanfares
Plus d’un siècle plus tard, les traditions perdurent ainsi que les Black Indians, partie intégrante de l’ADN de « Nola » (pour New Orleans Louisiana). D’ailleurs, cela commence à se voir selon Christian Pfohl, producteur du documentaire Black Indians : « La série “Treme” a popularisé cette facette peu connue de la ville. » Le Congo Square, au coeur du Tremé (un quartier de la ville), « est un des symboles de la ségrégation, lieu historique de rencontre entre Afro-Américains et Indiens ». En son centre, trône une statue du big chief Tootie Montana. Voilà pour les lieux balisés « Indians ». Rassemblés dans une trentaine de tribus, les Indiens de Mardi gras gardent une culture du secret. Les parades se font en marge du reste des festivités, dans les quartiers populaires comme le Tremé.
« C’est un symbole de liberté, un moyen de rendre hommage à ceux qui ont accueilli les ancêtres esclaves », décrit Paul Nevski. Les traces des Indiens de Mardi gras se suivent aussi à l’oreille. « Pas un jour ne passe à Nola sans qu’on entende une second line. » Ces fanfares traditionnelles, accompagnant les enterrements dans la ville, sont imprégnées de culture amérindienne. Les call and responses, couplets chantés puis repris en choeur, sont aussi issus des échanges entre un big chief et sa tribu. L’influence des Indiens de Mardi gras se retrouve jusque sur les scènes jazz les plus populaires. Au club Candlelight Lounge, « des musiciens imprégnés de la culture indienne comme Trombone Shorty jouent régulièrement », appuie Paul Nevski. Cette plongée dans l’histoire des Indiens de Mardi gras nécessite de faire quelques efforts, s’amuse Paul Nevski : « Il faut avoir une bonne oreille, du flair et prendre son temps. »