C’est grave, docteur ?
Des généralistes doivent faire face à des patients en plein doute, parfois convaincus par des thèses complotistes, très diffusées en période de crise sanitaire.
« Aucun patient ne m’a dit qu’on serait en train d’éliminer 3,5 millions de personnes dans le monde. Les gens ont peur du coronavirus, pas du complot mondial », synthétise Michaël Rochoy, médecin généraliste à Outreau (Pasde-Calais). Alors que le documentaire « Hold-Up », diffusé sur le Web, a rencontré un succès certain auprès du public et que la pandémie a accentué la circulation des théories du complot, les généralistes sont-ils souvent confrontés à des patients qui défendent ces thèses et comment réagissent-ils ?
«Les complotistes sont peu nombreux, mais ils font beaucoup de bruit.» Jimmy Mohamed, généraliste pour SOS Médecins
Dans une période d’incertitudes, avec une actualité anxiogène qui évolue vite, «“Hold-up” coche toutes les cases pour convaincre», analyse Jérôme Marty, généraliste en Haute-Garonne et patron du syndicat de l’Union française pour une médecine libre. Face aux théories du complot concernant le Covid-19, la première réaction a été pour certains médecins l’incompréhension. «J’ai fait deux certificats de décès du Covid-19 cette nuit en Ehpad, si jamais certains doutent encore… », s’emporte Luc Duquesnel, généraliste en Mayenne et président du syndicat Les Généralistes-CSMF. D’autres ne cachent pas leur inquiétude. Notamment vis-à-vis d’un sous-entendu émis dans le documentaire : des médecins feraient passer des patients pour des victimes du Covid-19 car la consultation est mieux rémunérée. « C’est dangereux, alerte Jérôme Marty. Cela laisse penser que des médecins auraient pu inventer des malades pour gagner trois sous. Avec la crise que nous traversons, on a des gens fragiles psychologiquement. Un médecin pourrait se faire agresser.»
Lui a été menacé de mort par certains complotistes à plusieurs reprises. Et a rencontré, encore la semaine dernière, un patient qui lui a avancé que le vaccin permettrait de surveiller la population grâce à la 5G. Globalement, les généralistes que nous avons interrogés estiment le phénomène rare. Sans nier que cette impression peut être faussée. « Les gens n’osent pas trop évoquer ce genre de convictions devant le docteur, renchérit Jimmy Mohamed, généraliste pour SOS Médecins. Globalement, les antivaccins et les complotistes sont peu nombreux, mais ils font beaucoup de bruit.» La difficulté, c’est que, si les théories complotistes se diffusent, il sera de plus en plus difficile d’imposer confinement et mesures barrières. Au risque de mettre en danger la santé des plus fragiles et des soignants. « Malheureusement, le débat est nul face à de vrais complotistes, se désole Jimmy Mohamed. Ce qui serait regrettable, ce serait de créer de nouveaux complotistes, renforcer la défiance avec des discours incohérents. » Voilà pourquoi il appelle à rester vigilant : « Le rapport de force peut basculer dans un sens comme dans l’autre. »