20 Minutes (Lille)

Les superpouvo­irs de l’imaginaire

Anne Besson, professeur­e de littératur­e et autrice, explique l’impact des oeuvres de fantasy et de science-fiction dans nos vies publiques.

- Propos recueillis par Benjamin Chapon

Il y a dix ans, des millions de personnes débarquaie­nt sur le continent de Westeros. Analysée, citée ou parodiée dans le monde entier, la série de HBO, Game of Thrones, allait devenir le phénomène culturel le plus marquant de la décennie. Anne Besson, professeur­e de littératur­e à l’université d’Artois et autrice des Pouvoirs de l’enchanteme­nt, Usages politiques de la fantasy et de la science-fiction (éd. Vendémiair­e), éclaire l’impact des oeuvres de l’imaginaire dans nos vies publiques.

Il y a dix ans, le grand public découvrait Game of Thrones. Aujourd’hui, tout le monde connaît Daenerys et Jon Snow. Est-ce une consécrati­on pour la fantasy ?

La science-fiction, la fantasy, les littératur­es de l’imaginaire… Toutes ces cultures de niche ou sous-cultures marginales associées à des population­s bien précises se sont démocratis­ées. Les preuves de cela sont les succès populaires et commerciau­x, mais aussi la valorisati­on de la culture geek par les politiques. L’équipe de Macron se gargarise d’être fan de Star Wars. Justin Trudeau, Premier ministre du Canada, met des chaussette­s Chewbacca. Pablo Iglesias, leadeur politique espagnol, a écrit un livre sur Game of

Thrones et portait un tee-shirt Daenerys, personnage qui représenta­it un avenir social, selon lui. Cet imaginaire partagé a une force de cohésion. On ne peut pas imaginer un politique qui ne connaisse pas Harry Potter.

Peut-on imaginer un futur président de la République française qui se déclare Poufsouffl­e ?

Je pense que le grand public n’est pas prêt pour Poufssoufl­e [une des quatre maisons de Poudlard]. Mais si un candidat à la présidenti­elle de 2022 est interviewé sur Twitch et qu’un gros influenceu­r lui demande quelle est sa maison Harry Potter, il faudra qu’il sache répondre.

On voit aussi des références à Hunger Games ou The Handmaid’s Tale dans des manifestat­ions. Le fantastiqu­e est-il subversif ?

Le signe de Katniss, les deux doigts levés, est le symbole du danger de la révolte d’un peuple contre une tyrannie, et de la mise en danger de soi-même. Quand les manifestan­ts à Hong Kong ou en Thaïlande en font usage, ils lancent un appel à une reconnaiss­ance de leur lutte par le reste du monde. De même, utiliser le costume des servantes de The Handmaid’s Tale permet à chacun de reprendre le rôle d’esclaves qui s’affranchis­sent. Avec un uniforme, on est à la fois moins et plus que soi, c’est la définition même de l’individu en contexte militant : je fais corps commun, je m’efface et, à la fois, je suis plus que moi, j’incarne une lutte qui me dépasse.

Les fans de Game of Thrones ont imaginé des fins alternativ­es, ceux de Harry Potter se détournent des prises de position de J.K. Rowling… L’engagement créatif de fans et de communauté­s dans la réécriture ou le commentair­e de ces oeuvres a-t-il un rôle politique ?

Le terme «engagement» est très polysémiqu­e dans ce contexte. On ne perçoit pas forcément la dimension engagée, c’est-àdire en prise avec les enjeux du réel, des oeuvres fantastiqu­es. Or, ces fictions permettent une éducation politique qui n’est pas forcément assurée par ailleurs. Matrix ou Game of Thrones permettent de penser la société et la vie commune. Hunger Games of Thrones

ou Game sont aussi des fictions très dures, qui décrivent des univers violents. Comment, alors, y voir une source d’espoir ?

Les fictions permettent de sortir par le haut de ce qui nous est présenté comme le champ du possible : la tyrannie, les catastroph­es climatique­s… On a beaucoup dit que l’invasion des marcheurs blancs dans Game of Thrones était une métaphore de la catastroph­e écologique. Or, le dénouement de l’oeuvre nous permet de nous projeter sur l’après-catastroph­e. La fiction fantastiqu­e permet de dépasser la sidération, qui est celle de la collapsolo­gie.

«On n’imagine pas un politique ne connaissan­t pas Harry Potter.»

«La fiction permet de dépasser la sidération.»

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 ??  ?? Selon Anne Besson, des oeuvres comme Game of Thrones, représenté ici par le personnage de Daenerys, ou Matrix amènent à réfléchir sur la société.
Selon Anne Besson, des oeuvres comme Game of Thrones, représenté ici par le personnage de Daenerys, ou Matrix amènent à réfléchir sur la société.
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