L’ubérisation prend un grand coup dans l’aile
Le modèle du géant américain pourra-t-il perdurer ?
Le conflit de trop ? Depuis quelques jours, des chauffeurs de VTC (voitures de transport avec chauffeur) manifestent contre les plateformes de réservation, Uber en tête – deux parties réunies encore ce mardi pour des discussions cruciales au secrétariat d’Etat aux Transports. Ces événements fragilisent « le mythe de l’uberisation heureuse » dénoncé par Laurent Grandguillaume, député PS dont la proposition de loi encadrant ces plateformes doit être définitivement adoptée cette semaine par le Parlement.
Le modèle économique Uber est-il viable? « Uber ne fonctionne que s’il prélève une commission importante sur les courses. Or, les chauffeurs ne peuvent pas vivre avec ce qu’ils gagnent », souligne Yves Crozet, économiste des transports. Le groupe américain « s’est déjà retiré de Chine et de Hongrie et a perdu un milliard d’euros au premier semestre », poursuit l’économiste. Selon lui, « Uber a été un bon innovateur de la digitalisation économique, mais il ne pourra pas devenir un géant de l’économie comme Google ».
Quelles sont les évolutions possibles? Comme cela s’est déjà produit aux Etats-Unis, par exemple, des chauffeurs indépendants français pourraient demander à être requalifiés en salariés. Si une requalification massive avait lieu, elle obligerait Uber à payer les cotisations sociales, chômage, retraite… A terme, « Uber serait obligé de rehausser les tarifs des courses et de réduire le nombre de chauffeurs afin d’améliorer la rentabilité de chaque véhicule, estime Guillaume Allègre, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Ce serait contraire à sa stratégie initiale, qui était de multiplier le nombre de chauffeurs disponibles pour permettre aux clients d’obtenir un véhicule rapidement, à moindres frais. » Yves Crozet, lui, imagine qu’« Uber préférera se retirer que d’accepter de salarier ses chauffeurs ». Et, s’il veut assurer sa survie en France, « il devra faire des concessions ». Des discussions sont « en cours » avec la CFDT-Transports afin, notamment, « de travailler aux évolutions du travail indépendant et à l’amélioration de la protection sociale des chauffeurs », explique le groupe.
Le concept de l’économie collaborative est-il remis en question ? « Le conflit Uber/VTC permet de faire le deuil de l’eldorado de l’économie collaborative et d’en avoir une vision plus réaliste », avance Yves Crozet. Guillaume Allègre va plus loin : « Ce qui est remis en cause, ce n’est pas l’économie collaborative en tant que telle. Mais le fait qu’elle propose un travail à la tâche, qui ne permet pas d’assurer un revenu décent aux travailleurs et crée une concurrence déloyale vis-àvis des artisans », analyse-t-il. Toutefois, « il faut relativiser cette vision de l’uberisation de l’économie : aujourd’hui, 90 % des travailleurs sont salariés », conclut-il.