«J’ai foncé sur les CRS, car je suis con»
Les premiers manifestants à avoir été jugés lundi à Paris n’avaient pas un profil de casseur
Deux jours après les échauffourées qui ont dévasté les rues de Paris, en marge de la mobilisation des «gilets jaunes», le tribunal correctionnel de Paris a commencé, lundi, à juger en comparution immédiate les premières personnes interpellées. Il y a du boulot : avec 378 gardes à vue au compteur, le parquet de Paris n’avait jamais connu un tel afflux de dossiers. Comme tous les Français, les magistrats ont vu les images tourner en boucle sur les chaînes d’info en continu : les voitures incendiées, les CRS attaqués, l’arc de Triomphe vandalisé… Ils ont sans doute aussi entendu Nicole Belloubet, la ministre de la Justice, promettre, dimanche, une « réponse pénale ferme » à ces agissements « inadmissibles ».
Pêcheur, équarisseur, routier...
Sauf que, lundi midi, les premiers « gilets jaunes » à comparaître n’ont pas le profil des terribles casseurs vêtus de noir. Tout juste trentenaire, Bruno réclame un délai pour préparer sa défense. Mais en donne déjà les principaux éléments d’une voix tremblante : «Je gagne 1500 € à 2000 € par mois. Je vis dans la maison que j’ai héritée de mes parents. Mais j’ai de grosses charges. L’eau, l’électricité… » Jérôme aussi voulait manifester contre la vie chère. Son dossier indique qu’il est intérimaire sans mission. Ses «200 € de RSA » constituent, selon lui, ses seuls revenus.
« Ce sont des profils que vous n’avez pas l’habitude de voir ici, relève son avocat commis d’office. Mais, la réalité, c’est qu’il n’y a que des profils comme lui. » Et de citer un équarrisseur de Moselle, un marin-pêcheur de Normandie. Ou un chauffeur-routier de la Marne, etc. Tous ont été arrêtés pour «participation à un groupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations». Cet article 222-14-2 du Code pénal qui permet d’interpeller des manifestants avant même qu’ils ne commettent le moindre délit.
Boucher dans un abattoir à Gap, Stéphane a, lui, été stoppé parce qu’il avait un Opinel dans la poche. Pour son petit déjeuner à base « de saucisson et de fromage», balance-t-il. Sauf qu’il l’a arrosé d’une rasade de rouge. Et que, en conséquence, il a foncé dans un cordon de CRS. «Mais pourquoi ? » l’ont interrogé les policiers. «Parce que je suis con», a-t-il simplement admis.
Les premiers «gilets jaunes» à avoir comparu, lundi, sont donc ceux-là, les dindons de la violente farce qui a eu lieu sur les Champs-Elysées, le «menu fretin» de cette affaire, pour reprendre les mots d’une avocate. Celle de Bruno en a même fait le coeur de sa plaidoirie. «Il a bien compris la leçon (…) Il n’a pas l’intention de manifester à nouveau.»
Le seul « vrai casseur », arrêté notamment avec un lance-pierres et 250 billes de plomb, est maintenu en détention pour trois mois. Tous les autres « gilets jaunes » s’en sortent avec des peines allant de trois mois de prison avec sursis à six mois de prison ferme, mais qui seront aménagés. «Il s’agit d’un avertissement», a insisté le président.