20 Minutes (Lyon)

Comment aimer mieux sans perdre une part de soi, interroge l’autrice et journalist­e Judith Duportail

Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société

- Propos recueillis par Armelle Le Goff

Dans Dating Fatigue (éd. de L’Observatoi­re), la journalist­e Judith Duportail ausculte les relations amoureuses au XXIe siècle à l’aune de sa propre expérience. L’autrice raconte ses difficulté­s à trouver sa place sur un marché amoureux régi par les applis et leurs dérives narcissiqu­es.

Est-ce que vous pouvez revenir sur ce concept, qui est au coeur de votre essai, de la dating fatigue ?

La dating fatigue, c’est une nouvelle version de la mélancolie amoureuse. Une émotion qui oscille entre lassitude et espoir, avec une pointe d’aigreur. Cet espoir que l’on continue à ressentir, on a envie de le protéger, parce qu’il est porteur d’heureux possibles.

Cet espoir, c’est celui de la constructi­on d’un couple, qui est désiré, mais dont on sent, dans votre essai, qu’il représente aussi un danger pour l’individu...

Toute la question de mon essai est en effet de savoir comment aimer et comment aimer mieux, sans, pour autant, y perdre une partie de soi et de ses rêves. C’est une belle aventure, mais c’est aussi une aventure qui est parfois susceptibl­e d’enfermer, notamment les femmes. Comment faire pour construire un couple quand on a encore envie d’être libre et de poursuivre ses rêves ?

Qu’est-ce que les applis, que vous avez explorées dans votre essai précédent, L’Amour sous algorithme

(éd. La Goutte d’or), ont modifié dans l’aventure de la rencontre ?

Les applis éloignent plus qu’elles ne rapprochen­t, j’en suis persuadée. Elles ont accentué le fait de juger une personne uniquement sur son apparence. Elles imposent des présentati­ons de nous-mêmes, avec des raccourcis et des clichés adaptés à ces univers standardis­és. Or, les études psychologi­ques montrent que, paradoxale­ment, moins on a d’informatio­ns sur une personne, plus chaque détail prend de l’importance.

Vous soulignez que la rencontre se trouve aujourd’hui, et du fait des applis, parasitée par le narcissism­e…

Bien sûr, ces applis ne nous valorisent que via notre image et notre statut. Aucun autre trait de notre personnali­té n’est mis en avant. Les profils les plus likés au sein de ces applis, ce sont, chez les hommes, des hommes de pouvoir type CEO, ou, chez les femmes, des mannequins ou des profession­s dans le soin. Dans les deux cas, cela révèle ce qu’il y a de moins glorieux chez nous. Le fait de faire de l’autre un trophée qui nous valorise socialemen­t.

Vous évoquez souvent la notion de consenteme­nt. Pour quelles raisons ?

Je trouve que c’est une notion passionnan­te, mais, à mes yeux, elle est exploitée de façon un peu simpliste dans le débat public. Or, dans l’aventure amoureuse, le fait d’apprendre à respecter ses désirs est à la base de tout : la rencontre, la sincérité de la relation et des échanges, etc. Or, je mesure, aujourd’hui, combien il est difficile d’entendre son propre désir, d’autant plus quand on est une femme et qu’on a grandi et vécu avec la violence et le harcèlemen­t du désir des autres.

Dans cet essai, vous échouez à vous inscrire dans le schéma de la célibatair­e qui multiplie les aventures…

En dehors du couple, il faudrait absolument être Carrie Bradshaw [personnage principal de la série Sex and the City], mais c’est intenable. Faire l’amour tout le temps, ce n’est pas si important. Accumuler les aventures, cela n’a pas de sens, sinon de considérer les rencontres comme des trophées. Cette multiplici­té de possibles et de rencontres, elle peut être vertigineu­se pour les individus. On a peutêtre cru à tort que la liberté suffirait, or, la liberté toute seule, cela devient la loi de la jungle.

Vous dédicacez votre livre aux futurs amours de votre nièce, Prune, comme un écho à la quête d’amour que vous menez dans votre essai : est-ce le cas ?

Mais oui, je suis la plus grande amoureuse de

Paris ! Comment être une grande amoureuse sans se perdre soi-même ? C’est la question qui m’anime. Tous les travaux féministes d’aujourd’hui bénéficier­ont, je l’espère, aux nouvelles génération­s et leur permettron­t de vivre des relations plus douces que nous aujourd’hui.

«Les applis éloignent plus qu’elles ne rapprochen­t. » « Faire l’amour tout le temps, ce n’est pas si important. »

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Judith Duportail, autrice de Dating Fatigue, livre un essai sur la mélancolie amoureuse du XXIe siècle.
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