20 Minutes (Lyon)

« Être reconnu à notre juste valeur »

- Propos recueillis par William Pereira

Les Jeux paralympiq­ues de Tokyo se sont terminés avec un bilan audessus des objectifs pour les Bleus : 54 médailles. Mais, au Japon, JeanBaptis­te Alaize n’y était pas, écarté par sa fédération. Alors qu’il a publié De l’enfer à la lumière (éd. Michel Lafon) le 26 août, l’athlète, qui jadis a perdu mère et jambe dans une attaque de Hutus au Burundi, revient sur son parcours de vie et ses attentes pour le handisport à l’horizon 2024.

Vous expliquez que vous avez longtemps caché votre prothèse...

Je vivais déjà assez mal la différence liée à ma couleur. Déjà que je suis noir, si en plus on savait que j’étais handicapé, je me disais que ça ferait encore plus de problèmes. Un jour, on a les jeux des collèges et on fait un 4x100 m. J’avais été placé en dernier relayeur et j’ai rattrapé tout le monde. Mon prof m’a conseillé de m’inscrire dans un club d’athlé.

Il est là, le vrai déclic ?

À l’athlé, j’ai tout de suite eu une sensation étrange. Mon coach m’a demandé de faire quelques tours de terrain pour voir ce que je valais niveau cardio. Et je me suis rendu compte que personne ne me rattrapait. J’ai longtemps été hanté par la scène de guerre de ma mère et moi, où les Hutus nous couraient après. On avait à peine pu faire 40 m qu’ils nous avaient rattrapés. J’ai dû assister à la décapitati­on de ma mère avant qu’on s’acharne sur moi.

Ces tours de terrain vous ont -ils quand même apporté un peu de paix ?

Courir dix tours sur la piste en me rendant compte que les Hutus ne me rattrapaie­nt pas… Je me sentais plus libre. La première nuit de sommeil après cette séance-là a été la meilleure depuis des années. J’ai dormi sans flash-back. J’avais trouvé ma thérapie. Courir pour m’évader.

Vous courez avec une lame. Entre l’achat, l’entretien, les changement­s, gagnez-vous tout de même de l’argent, au bout d’un peu plus de dix ans de carrière ?

Si tu veux courir avec un handicap, il faut payer. Ça [la lame] coûtait 15 000 €. Ce n’est pas pris en charge par la Sécu, à l’inverse des prothèses de marche. J’ai obtenu de bons résultats et ai fait des bonnes choses pour mon pays. Mais je suis livré à moi-même, je n’ai pas de soutien de ma fédé ni du gouverneme­nt. C’est un métier, quand même, de représente­r son pays au plus haut niveau. Pour les fédés, un peu moins de 5 000 €, c’était déjà la fin du monde. Les valides, quand ils font des compétitio­ns, ils ont des primes de victoire, de participat­ion. Nous, on doit toujours dépenser. Je ne fais pas tout ça pour qu’on me soit redevable, mais je demande juste qu’on soit reconnu à notre juste valeur.

Qu’est-ce que vous attendez pour Paris 2024 ?

Tout le monde est inquiet. On est censés être suivis financière­ment depuis six ans. Je dis six ans, parce qu’en 2012 j’avais parlé à pas mal d’athlètes anglais et les mecs avaient commencé à être soutenus pour être au top du top six ans avant les JO de Londres. Nous, on a un retard de ouf.

« C’est un métier, quand même, de représente­r son pays au plus haut niveau. »

 ??  ?? Jean-Baptiste Alaize. V. Hache / AFP
Jean-Baptiste Alaize. V. Hache / AFP
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France