Les jeunes font leur tri
EXCLUSIF. Selon un sondage OpinionWay pour «20 Minutes» auprès de #MoiJeune, l’environnement arrive en tête des attentes des 18-30 ans.
Pour la première fois depuis plus d’un siècle, les milliardaires américains paient moins d’impôts en proportion de leurs revenus que les classes moyennes et populaires. Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, économistes français qui enseignent en Californie, analysent cet état de fait dans Le Triomphe de l’injustice (éd. Seuil), paru le 13 février.
L’idée forte de votre livre, c’est que les impôts sont un outil de justice sociale. Pourquoi provoque-t-il le débat aux Etats-Unis ? Avec l’élection de Ronald Reagan en 1981, les USA ont mis à bas un système de progressivité du taux d’imposition, mis en place dans les années 1930, extrêmement ambitieux. Si on regarde la période 1980-2018, pendant la révolution reaganienne, durant laquelle l’impôt est devenu beaucoup moins progressif, on voit que la croissance a diminué de 1,4 % par an en moyenne. Surtout, elle est devenue très inégalitaire. En particulier pour les classes populaires. Les 50 % des Américains les plus pauvres ont connu une stagnation complète de leur revenu. Dans le même temps, on constate une explosion des revenus pour les 0,1 % les plus riches.
Pourtant, des années 1930 aux années 1980, les Etats-Unis avaient mis en place un système de progressivité fiscale très avancé…
Pour comprendre jusqu’où les Etats-Unis sont allés en matière de progressivité fiscale, il faut se souvenir du discours de Franklin Delano Roosevelt au Congrès en 1942 : « Aucun Américain ne devrait avoir, après impôts, un revenu de plus de 25 000 $ [1 million de dollars d’aujourd’hui]. » Il propose de créer un impôt de 100 % sur tous les revenus au-dessus de 25 000 $. Les parlementaires se sont mis d’accord sur un taux de 93 %, taux resté en vigueur jusque dans les années 1950, puis les années 1960 y compris du temps de Dwight D. Eisenhower. Ce qui témoigne du consensus de l’époque sur le fait d’utiliser le système fiscal pour réguler les inégalités.
Comment s’opère le changement de paradigme des années 1980 avec la révolution reaganienne ? Lorsque Ronald Reagan entre à la Maison-Blanche en 1981, le taux d’imposition sur les plus hauts revenus est de 70 %. Ronald Reagan tient alors ce discours célèbre : « Le gouvernement n’est pas la solution, c’est le problème. » Ce discours légitime l’industrie de l’optimisation fiscale. En 1986, toutes les élites politiques sont persuadées qu’il n’est plus possible de taxer les plus hauts revenus et que la seule solution est de baisser leurs impôts. Aujourd’hui, les candidats démocrates à la primaire, et singulièrement Elisabeth Warren et
Bernie Sanders, proposent la mise en place d’impôts sur les très grandes fortunes à un niveau extrêmement élevé dans la pyramide des richesses. Si on regarde les enquêtes d’opinion, une majorité d’Américains considèrent que, aujourd’hui, les grandes fortunes ne paient pas suffisamment d’impôts. Il y a une forte demande pour lutter contre les inégalités. Pendant longtemps, le parti démocrate n’a pas répondu à cette demande. C’est en train de changer. Quelle est la nature de vos contacts avec l’équipe de Bernie Sanders ? Dès la primaire de 2016, Sanders s’est emparé de nos travaux menés avec Emmanuel Saez sur les inégalités. Cela nous a permis d’échanger avec son équipe sur les questions fiscales. Au-delà de ça, on a souhaité avec Emmanuel Saez écrire un livre et un site qui en est le prolongement, Taxjusticenow.org, pour contribuer à un débat le plus large possible et le plus démocratique. Reste que l’élection de 2020 est caricaturale : on a d’un côté un milliardaire, Donald Trump, de l’autre, Michael Bloomberg, qui a déjà dépensé 365 millions de dollars et est no 2 dans les sondages sans avoir fait campagne. C’est une dérive ploutocratique inquiétante dans un pays où le manque de recettes de l’Etat fédéral nécessite des mesures fortes.
« Reagan a légitimé l’optimisation fiscale. » « L’élection présidentielle de 2020 est caricaturale. »