20 Minutes (Marseille)

Amélie Nothomb

«L’appétit pour la lecture, ça s’apprend, comme tout»

- Propos recueillis par Stéphane Leblanc

Le prix Goncourt lui a échappé de peu l’an dernier. Après Soif, Amélie Nothomb revient avec Les Aérostats, une fable enlevée, drôle et cruelle (lire l’encadré), dont le titre est inspiré des premiers ballons dirigeable­s qui fascinent Pie, le jeune héros, parce qu’ils sont prêts à s’enflammer à la moindre étincelle. La romancière Amélie Nothomb a reçu 20 Minutes dans les locaux des éditions Albin Michel à Paris.

Avec Les Aérostats, vous revenez à quelque chose d’assez intimiste et personnel. Ange, la jeune narratrice, c’est un peu vous au même âge, non ? A 19 ans, j’étais largement comme elle, sérieuse et solitaire. Mais j’étais mal dans ma peau. Comme Ange, j’étais ostracisée à l’université, incapable d’avoir des amis. Au lieu d’en tirer parti honorablem­ent comme dans le roman, je le vivais comme une pestiférée. Et j’en souffrais beaucoup.

Pie, son partenaire, est un adolescent en rupture. Son père pense qu’il souffre de dyslexie, mais ça n’a rien à voir…

Sous la classifica­tion dyslexie, il n’y a peut-être que 1 % de dyslexique­s réels. Les autres, ce sont simplement des jeunes qui, à cause de mille choses, n’ont pas la possibilit­é d’entrer en contact avec le réel. Evidemment, les symptômes sont terribles. Moi, je lance une idée toute simple, parce que, évidemment, je ne suis ni sociologue, ni médecin, ni rien : commencer à lire de très bons livres. C’est pas mal comme solution !

La littératur­e comme remède au mal de vivre ? On initie si peu les jeunes à la littératur­e qu’ils ont tout à découvrir. Y compris que la littératur­e, ce n’est pas la morale. Dans le livre, Pie se montre extrêmemen­t moralisate­ur. Il préfère L’Iliade à L’Odyssée parce qu’Ulysse est retors. Et alors ? Est-ce qu’Ulysse doit être gentil pour que L’Odyssée soit un bon livre ? En même temps, Pie est très brillant. On ne peut pas dire qu’il dise des sottises, tout au contraire. Qu’est-ce qui vous a inspiré ce personnage ?

Pie est le syncrétism­e de plusieurs personnes de cet âge-là, autour de 16 ans, anormaleme­nt brillants, précieux, d’une intelligen­ce supérieure à la moyenne. Mais pour qui – et cela m’a très souvent brisé le coeur – rien ne se passait. Comme si l’enseigneme­nt et la vie même n’étaient pas faites pour eux. C’est peut-être pour cela que la fin de mon livre est si radicale. Ces jeunes gens, vous les avez rencontrés ? [Elle montre son volumineux courrier, des lettres à l’écriture manuscrite disposées sur son bureau.] Le plus souvent, je les rencontre… comme ça. Et vous répondez à leurs lettres ? Je vais aggraver mon cas parce que vous allez l’écrire dans 20 Minutes : je ne sais pas ce que c’est qu’un mail, je ne sais pas ce qu’est Internet. Je suis 100 % analogique, mais je réponds à mon courrier. Pas aux insultes, pas aux stupidités, mais, à tout ce qui le mérite, je réponds. Et, parmi ces innombrabl­es courriers, beaucoup proviennen­t de jeunes gens de 15, 16, 17 ans… Votre narratrice donne envie à son jeune élève de lire, mais votre livre aussi donne envie de se replonger dans la littératur­e… C’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire. Si je peux jouer le rôle d’allumeuse littéraire, je serais folle de fierté. J’ai vu tellement de gens, souvent des jeunes, qui n’avaient aucun appétit pour la littératur­e, qui ne lisaient pas, parce que c’est comme tout, ça s’apprend. Et vous, éprouvez-vous toujours le désir de lire ? Je suis lectrice depuis bien plus longtemps que je suis écrivaine, et je continue de lire plus que j’écris. Chaque fois que je tombe sur un jeune qui me dit : « Ah, j’aimerais bien devenir écrivain, mais je n’aime pas lire », je lui dis : « Non, ça n’a aucun sens. Un cuisinier qui ne mange rien, ça n’existe pas. » Et plus on va écrire, plus on aura envie de savoir, comme un cuisinier, ce que les autres écrivains peuvent bien mettre dans leur sauce.

«A 19 ans, j’étais sérieuse et solitaire, mal dans ma peau. »

« L’appétit pour la lecture, ça s’apprend, comme tout.» Amélie Nothomb, romancière belge

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 ??  ?? L’écrivaine a publié en août Les Aérostats (éd. Albin Michel). A travers l’histoire d’un adolescent en rupture, le roman évoque le désir de lecture.
L’écrivaine a publié en août Les Aérostats (éd. Albin Michel). A travers l’histoire d’un adolescent en rupture, le roman évoque le désir de lecture.

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