20 Minutes (Montpellier)

Le temps de parole éclaté sur les réseaux

À l’ère de Twitter, les restrictio­ns imposées aux candidats à la présidenti­elle ne vont plus de soi

- Lina Fourneau

Le clan d’Emmanuel Macron est en colère. Son équipe ne peut plus utiliser les comptes officiels du président-candidat (LREM) sur les réseaux sociaux. Le 11 mars, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidenti­elle (CNCCEP) a en effet demandé à l’équipe de campagne du sortant de ne pas recourir au compte Twitter personnel d’Emmanuel Macron, « utilisé de longue date et de façon prépondéra­nte pour relayer des messages afférents à l’exercice de ses fonctions de président de la République ». Dans l’équipe de ce dernier, on crie à l’injustice, soulignant que les autres candidats sont toujours autorisés à faire campagne avec leur compte officiel, alors même qu’Anne Hidalgo (PS) est maire de Paris et Valérie Pécresse (LR) a été réélue l’an dernier pour un nouveau mandat de présidente de région Île-de-France, par exemple. Plus largement, l’avis de la commission pose la question du temps de parole et de sa légitimité à l’heure des réseaux sociaux. Sachant qu’à partir de ce lundi, soit deux semaines avant le premier tour de la présidenti­elle, le principe d’« égalité » du temps de parole et d’antenne accordé aux candidats et leurs soutiens devient la règle. Faudrait-il revoir les temps de parole des candidats selon leur présence et leur audience numérique ? Dans les couloirs de la CNCCEP, la question se pose. Modifier ces règles serait dans l’air du temps, nous dit-on brièvement, sans toutefois entrer dans les détails : « Les conclusion­s de la commission seront publiées à la suite de l’élection présidenti­elle pour donner ses futures recommanda­tions. »

La question n’est pas nouvelle. En 2017, le chercheur en droit du numérique Hervé Isar alertait déjà, dans les colonnes du Monde, sur une nécessaire évolution du droit électoral face « au développem­ent des communicat­ions électroniq­ues en ligne qui bouscule nos usages politiques ». Selon le professeur de l’université d’Aix-Marseille, de nouvelles sanctions plus adaptées devaient être imaginées par le Conseil supérieur de l’audiovisue­l (CSA). Depuis, le CSA est devenu l’Autorité de régulation de la communicat­ion audiovisue­lle et numérique (Arcom), mais les textes, eux, n’ont pas été modifiés. Interrogé par 20 Minutes, Hervé Isar renouvelle aujourd’hui ses critiques. « Le numérique a très largement perturbé notre rapport au temps et à l’espace et il a fortement modifié les modalités historique­s d’accès à l’informatio­n électorale. En conséquenc­e, des législatio­ns qui ont été pensées du temps des mass media analogique­s, nationaux et peu nombreux, ne peuvent aujourd’hui être perçues que comme dépassées », dénonce le chercheur.

Des nouveaux médias

Un avis partagé par Jean-Marie Charon, sociologue spécialisé dans les médias et le journalism­e. « Le temps de parole correspond­ait bien à l’ancienne organisati­on des médias, quand il n’y avait que quelques chaînes de télévision et quelques radios, avance le chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Quand le système a commencé à se diversifie­r, nous avons continué à aborder la question du temps de parole du point de vue du diffuseur. À partir du moment où il y a une multiplici­té de supports, il ne faut plus réfléchir à partir du diffuseur, mais à partir du public. C’est lui qui fait ses choix, désormais. » Toutefois, adapter la règle du temps de parole aux réseaux sociaux serait, selon Jean-Marie Charon, tout simplement impossible. « Dans la conception ancienne qui s’appliquait à la télévision et à la radio, on avait une audience théorique mesurable. Dans le système des réseaux sociaux, nous n’avons pas cette capacité à comparer deux comptes, qui n’ont aucun lien entre eux », poursuit le sociologue. Selon lui, l’encadremen­t du temps de parole « de manière réglementa­ire et législativ­e » est désormais caduc. Ce dernier appelle à la fin de cette règle électorale, une exception française. Mais comment assurer le pluralisme des opinions sans encadremen­t du temps de parole dans les médias audiovisue­ls ? Le sociologue suggère la mise en place « d’une garantie morale » des médias, qui leur imposerait de « vérifier que chaque courant de pensée a bien vu ses idées mises en valeur » pendant

la campagne.

« Le temps de parole correspond­ait bien à l’ancienne organisati­on de la radio et de la télé. » Jean-Marie Charon, sociologue

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