Le temps de parole éclaté sur les réseaux
À l’ère de Twitter, les restrictions imposées aux candidats à la présidentielle ne vont plus de soi
Le clan d’Emmanuel Macron est en colère. Son équipe ne peut plus utiliser les comptes officiels du président-candidat (LREM) sur les réseaux sociaux. Le 11 mars, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP) a en effet demandé à l’équipe de campagne du sortant de ne pas recourir au compte Twitter personnel d’Emmanuel Macron, « utilisé de longue date et de façon prépondérante pour relayer des messages afférents à l’exercice de ses fonctions de président de la République ». Dans l’équipe de ce dernier, on crie à l’injustice, soulignant que les autres candidats sont toujours autorisés à faire campagne avec leur compte officiel, alors même qu’Anne Hidalgo (PS) est maire de Paris et Valérie Pécresse (LR) a été réélue l’an dernier pour un nouveau mandat de présidente de région Île-de-France, par exemple. Plus largement, l’avis de la commission pose la question du temps de parole et de sa légitimité à l’heure des réseaux sociaux. Sachant qu’à partir de ce lundi, soit deux semaines avant le premier tour de la présidentielle, le principe d’« égalité » du temps de parole et d’antenne accordé aux candidats et leurs soutiens devient la règle. Faudrait-il revoir les temps de parole des candidats selon leur présence et leur audience numérique ? Dans les couloirs de la CNCCEP, la question se pose. Modifier ces règles serait dans l’air du temps, nous dit-on brièvement, sans toutefois entrer dans les détails : « Les conclusions de la commission seront publiées à la suite de l’élection présidentielle pour donner ses futures recommandations. »
La question n’est pas nouvelle. En 2017, le chercheur en droit du numérique Hervé Isar alertait déjà, dans les colonnes du Monde, sur une nécessaire évolution du droit électoral face « au développement des communications électroniques en ligne qui bouscule nos usages politiques ». Selon le professeur de l’université d’Aix-Marseille, de nouvelles sanctions plus adaptées devaient être imaginées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Depuis, le CSA est devenu l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), mais les textes, eux, n’ont pas été modifiés. Interrogé par 20 Minutes, Hervé Isar renouvelle aujourd’hui ses critiques. « Le numérique a très largement perturbé notre rapport au temps et à l’espace et il a fortement modifié les modalités historiques d’accès à l’information électorale. En conséquence, des législations qui ont été pensées du temps des mass media analogiques, nationaux et peu nombreux, ne peuvent aujourd’hui être perçues que comme dépassées », dénonce le chercheur.
Des nouveaux médias
Un avis partagé par Jean-Marie Charon, sociologue spécialisé dans les médias et le journalisme. « Le temps de parole correspondait bien à l’ancienne organisation des médias, quand il n’y avait que quelques chaînes de télévision et quelques radios, avance le chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Quand le système a commencé à se diversifier, nous avons continué à aborder la question du temps de parole du point de vue du diffuseur. À partir du moment où il y a une multiplicité de supports, il ne faut plus réfléchir à partir du diffuseur, mais à partir du public. C’est lui qui fait ses choix, désormais. » Toutefois, adapter la règle du temps de parole aux réseaux sociaux serait, selon Jean-Marie Charon, tout simplement impossible. « Dans la conception ancienne qui s’appliquait à la télévision et à la radio, on avait une audience théorique mesurable. Dans le système des réseaux sociaux, nous n’avons pas cette capacité à comparer deux comptes, qui n’ont aucun lien entre eux », poursuit le sociologue. Selon lui, l’encadrement du temps de parole « de manière réglementaire et législative » est désormais caduc. Ce dernier appelle à la fin de cette règle électorale, une exception française. Mais comment assurer le pluralisme des opinions sans encadrement du temps de parole dans les médias audiovisuels ? Le sociologue suggère la mise en place « d’une garantie morale » des médias, qui leur imposerait de « vérifier que chaque courant de pensée a bien vu ses idées mises en valeur » pendant
la campagne.
« Le temps de parole correspondait bien à l’ancienne organisation de la radio et de la télé. » Jean-Marie Charon, sociologue