« Twitter est un faux espace de dialogue »
Le philosophe critique le réseau social
Il passe des heures à répondre aux internautes sur Twitter, surtout quand ils l’insultent. Raphaël Enthoven, professeur de philosophie et chroniqueur sur Arte et Europe 1, explique son rapport au réseau social.
Faut-il être sur Twitter pour saisir l’actualité dans toutes ses dimensions ?
L’intérêt de ce réseau est d’être un objet d’étude immédiat, de nous mettre sous les yeux ce qu’on ne voyait avant apparaître et se développer qu’au terme d’un processus de plusieurs années. De ce point de vue, c’est irremplaçable. Twitter témoigne aussi de la victoire de l’horizontalité. La différence entre Donald Trump et un twitto ordinaire ne tient plus qu’à une question de quantité. Il n’y a plus d’Olympe, d’autre monde, cet au-delà enchanteur où les gens de pouvoir se soustrairaient au jugement des autres. Se battre dans cet espace, avec les mêmes armes que tout le monde, est très important.
L’horizontalité est un point positif ?
Ni bon ni mauvais. C’est un fait avec lequel nous devons composer. Twitter est neutre, c’est l’usage qui détermine sa qualité. Ce réseau est surtout à la croisée d’une ambivalence démocratique fondamentale : chacun a le droit de discuter, et pourtant on ne fait que se disputer.
La discussion est-elle forcément vouée à l’échec ?
Souvent. Twitter est un faux espace de dialogue. Les gens prétendent discuter, mais ces discussions se résument finalement à l’affirmation d’une opinion qui s’oppose frontalement à l’opinion d’en face. Après, on compte les points, ou bien les partisans. En général, il faut y voir un concours de bites entre opinions. Twitter étant un lieu où les utilisateurs cherchent à être confortés dans ce qu’ils pensent, ils retweetent ce qu’ils approuvent, vomissent ce qu’ils n’approuvent pas, prennent la contradiction pour une offense. Y injecter le miel d’un dialogue entre deux individus réussit rarement, mais durablement quand c’est le cas. Il y a du merveilleux qui peut en sortir.
Vous espérez convaincre quelqu’un ?
Le but n’est pas d’obtenir que l’autre change d’opinion. En revanche, obtenir de sa part qu’il passe du tutoiement au vouvoiement, qu’il remplace l’imprécation par un « OK, vous avez le droit de ne pas être d’accord avec moi, c’est pas un drame », me semble une victoire considérable. Pour le pire, Twitter est le lieu pour une opinion unilatérale qui ne fait pas place à la nuance ; pour le meilleur, c’est la taille d’une objection qu’on arrive parfois à distiller et qui peut produire une discussion. Cela oblige à être dense, concis. On confond l’exercice de la philosophie avec la transmission d’un contenu technique et prolongé. Sauf que la philo, c’est le dialogue, et le dialogue doit aller vite. On n’a pas le droit d’emmerder son interlocuteur quand on discute avec lui.
« En général, il faut y voir un concours de bites entre opinions. »