20 Minutes (Nantes)

Des espèces tapent l’incruste

A l’image de l’ibis sacré, les espèces invasives sont l’un des premiers facteurs de perte de biodiversi­té dans le monde. La France commence à prendre la menace au sérieux.

- Propos recueillis par Fabrice Pouliquen

Symbole du savoir et de la religion au pays des pharaons, l’ibis sacré est arrivé en France dans les parcs zoologique­s à la fin des années 1980. Opportunis­te, le volatile s’en est peu à peu échappé et notamment à Branféré (Morbihan). « Le parc réalisait des spectacles de vols libres avec l’ibis sacré. Lors des représenta­tions, certains en ont profité pour s’en aller », affirme Jean-François Maillard, responsabl­e de la coordinati­on des actions sur les espèces invasives, de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Capable de s’adapter à n’importe quel environnem­ent, le volatile s’est répandu de manière exponentie­lle. « Nous sommes passés de vingt ibis sacrés en 1990 à 5 000 depuis les années 2000, explique Guy Bourlès, président de la Ligue de protection des oiseaux de Loire-Atlantique (LPO). Il a su très vite s’adapter aux conditions de vie européenne­s. Il mangeait des graines dans les champs, des poissons dans l’eau. Il faisait même les poubelles ! » Face à sa proliférat­ion, le ministère de l’Ecologie a mandaté l’éradicatio­n de l’espèce en 2013 auprès de l’ONCFS. « L’ibis sacré devenait un danger pour d’autres espèces menacées, car il gobait énormément d’oeufs, affirme Jean-François Maillard. Pour cette demande, des profession­nels ont

abattu l’oiseau au fusil de chasse. L’éradicatio­n a permis de passer de 5 000 ibis sacrés en 2006 à 300 aujourd’hui. En France, cela choque les gens, mais l’existence de cette espèce n’a pas été bien gérée. » Du côté de la LPO, cette campagne d’éradicatio­n a été quelque peu controvers­ée. Vivant en colonies sauvages proches des littoraux, les ibis se trouvent surtout au Parc naturel régional de Brière ainsi qu’au lac de Grand-Lieu, où l’on « prélève les oeufs afin de réguler au mieux le développem­ent de l’espèce, explique Jean-Marc Gillier, directeur de la réserve naturelle. En dix ans, nous sommes passés de 800 couples à 40. Malheureus­ement, l’objectif est de ne plus en avoir sur notre site. » Quentin Burban

« L’ibis faisait même les poubelles !» Guy Bourlès, président de la LPO Loire-Atlantique

Ecrevisse d’Amérique, moustique tigre, renouée du Japon… Derrière ces noms exotiques se cachent des espèces végétales et animales qui causent de gros dégâts. Professeur et coordonnat­eur de la Stratégie nationale relative à ces espèces envahissan­tes, Serge Muller rappelle que des mesures ont fini par être prises.

Qu’est-ce qu’une espèce invasive?

L’Union internatio­nale pour la conservati­on de la nature (UICN) donne une définition qui fait consensus. Il s’agit d’une espèce venue d’un autre pays ou d’un autre continent, introduite par l’homme volontaire­ment (parce qu’elle était belle, par exemple) ou involontai­rement (via les échanges commerciau­x internatio­naux), et qui s’adapte si bien à son nouveau milieu qu’elle y prolifère au point de menacer l’écosystème existant.

A quelles espèces pensez-vous?

On peut citer le frelon asiatique, observé pour la première fois en France en 2004 dans le Lot-et-Garonne. En outre-mer, des chats retournés à l’état sauvage déciment des population­s d’oiseaux endémiques, comme le pétrel de Barau à La Réunion.

Quelles menaces les espèces invasives font-elles peser sur la biodiversi­té?

L’UICN en parle comme de la deuxième cause de perte de biodiversi­té dans le monde, derrière la disparitio­n des habitats naturels. En France, l’impact est moindre et vient après la surexploit­ation des ressources ou les pollutions. Mais les espèces invasives peuvent avoir des conséquenc­es sanitaires. Par exemple, le contact avec la berce du Caucase provoque de graves irritation­s de la peau.

Quelles mesures ont été prises?

On prend peu à peu conscience du problème. Depuis 2016, les Etats membres de l’UE ont interdicti­on d’importer, de cultiver, de reproduire, de vendre ou de remettre dans le milieu naturel 49 espèces.

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Le volatile est capable de s’adapter à n’importe quel environnem­ent.
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Un frelon asiatique.

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