Des espèces tapent l’incruste
A l’image de l’ibis sacré, les espèces invasives sont l’un des premiers facteurs de perte de biodiversité dans le monde. La France commence à prendre la menace au sérieux.
Symbole du savoir et de la religion au pays des pharaons, l’ibis sacré est arrivé en France dans les parcs zoologiques à la fin des années 1980. Opportuniste, le volatile s’en est peu à peu échappé et notamment à Branféré (Morbihan). « Le parc réalisait des spectacles de vols libres avec l’ibis sacré. Lors des représentations, certains en ont profité pour s’en aller », affirme Jean-François Maillard, responsable de la coordination des actions sur les espèces invasives, de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Capable de s’adapter à n’importe quel environnement, le volatile s’est répandu de manière exponentielle. « Nous sommes passés de vingt ibis sacrés en 1990 à 5 000 depuis les années 2000, explique Guy Bourlès, président de la Ligue de protection des oiseaux de Loire-Atlantique (LPO). Il a su très vite s’adapter aux conditions de vie européennes. Il mangeait des graines dans les champs, des poissons dans l’eau. Il faisait même les poubelles ! » Face à sa prolifération, le ministère de l’Ecologie a mandaté l’éradication de l’espèce en 2013 auprès de l’ONCFS. « L’ibis sacré devenait un danger pour d’autres espèces menacées, car il gobait énormément d’oeufs, affirme Jean-François Maillard. Pour cette demande, des professionnels ont
abattu l’oiseau au fusil de chasse. L’éradication a permis de passer de 5 000 ibis sacrés en 2006 à 300 aujourd’hui. En France, cela choque les gens, mais l’existence de cette espèce n’a pas été bien gérée. » Du côté de la LPO, cette campagne d’éradication a été quelque peu controversée. Vivant en colonies sauvages proches des littoraux, les ibis se trouvent surtout au Parc naturel régional de Brière ainsi qu’au lac de Grand-Lieu, où l’on « prélève les oeufs afin de réguler au mieux le développement de l’espèce, explique Jean-Marc Gillier, directeur de la réserve naturelle. En dix ans, nous sommes passés de 800 couples à 40. Malheureusement, l’objectif est de ne plus en avoir sur notre site. » Quentin Burban
« L’ibis faisait même les poubelles !» Guy Bourlès, président de la LPO Loire-Atlantique
Ecrevisse d’Amérique, moustique tigre, renouée du Japon… Derrière ces noms exotiques se cachent des espèces végétales et animales qui causent de gros dégâts. Professeur et coordonnateur de la Stratégie nationale relative à ces espèces envahissantes, Serge Muller rappelle que des mesures ont fini par être prises.
Qu’est-ce qu’une espèce invasive?
L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) donne une définition qui fait consensus. Il s’agit d’une espèce venue d’un autre pays ou d’un autre continent, introduite par l’homme volontairement (parce qu’elle était belle, par exemple) ou involontairement (via les échanges commerciaux internationaux), et qui s’adapte si bien à son nouveau milieu qu’elle y prolifère au point de menacer l’écosystème existant.
A quelles espèces pensez-vous?
On peut citer le frelon asiatique, observé pour la première fois en France en 2004 dans le Lot-et-Garonne. En outre-mer, des chats retournés à l’état sauvage déciment des populations d’oiseaux endémiques, comme le pétrel de Barau à La Réunion.
Quelles menaces les espèces invasives font-elles peser sur la biodiversité?
L’UICN en parle comme de la deuxième cause de perte de biodiversité dans le monde, derrière la disparition des habitats naturels. En France, l’impact est moindre et vient après la surexploitation des ressources ou les pollutions. Mais les espèces invasives peuvent avoir des conséquences sanitaires. Par exemple, le contact avec la berce du Caucase provoque de graves irritations de la peau.
Quelles mesures ont été prises?
On prend peu à peu conscience du problème. Depuis 2016, les Etats membres de l’UE ont interdiction d’importer, de cultiver, de reproduire, de vendre ou de remettre dans le milieu naturel 49 espèces.