Le business des droits télé entre les mains du trotskiste Roures
Le patron de la chaîne qui a racheté les droits TV du foot français est un homme mystérieux et paradoxal
Si l’ubiquité portait un nom, elle s’appellerait sûrement Jaume Roures. Le patron de Mediapro, à la tête d’un empire qui part d’Espagne, est implanté dans 26 pays et vient d’étendre ses frontières à la France, où il a acquis la plupart des matchs de Ligue 1 et Ligue 2 sur la période 2020-2024 pour 800 millions d’euros. Mediapro édite aussi des chaînes de télévision, produit des émissions, des séries (dont The Young Pope, avec HBO), des documentaires et des films. Et pourtant, si Jaume Roures peut en dire le moins sur lui, il ne s’en prive pas. «C’est un personnage obscur, nous dit un journaliste espagnol qui préfère taire son nom. Ses soutiens le disent très loyal, ses opposants, sans scrupule. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il a du pouvoir.» Et qu’il sait se montrer convaincant. Quand il débarque le 12 décembre devant l’assemblée générale de la LFP pour y présenter son modèle économique pour le foot français, peu de gens savent que penser du bonhomme. « On était tous un peu sceptiques avant son intervention, mais à la fin, tout le monde l’a applaudi», raconte Fulvio Luzi, président de Chambly (L2). On verra si l’enthousiasme sera toujours de mise avecTéléfoot, la chaîne payante (aux alentours de 25 € par mois) née du partenariat fraîchement annoncé avec TF1, accessible dès août.
Son coup de maître en Liga
Dans la grande histoire de l’influence de Mediapro, les années 2006 et 2007 revêtent une importance capitale. D’un point de vue structurel, d’abord, car c’est là que Roures développe un empire médiatique ancré très à gauche, et ensuite sur le terrain des droits TV. Notre source raconte le coup de maître du boss de Mediapro. «Le Barça et le Real ont signé en 2006 les contrats de télévision les plus chers de l’histoire du football [1,1 milliard d’euros sur sept ans pour le Real, 1 milliard pour le Barça]. Du jour au lendemain, ils sont devenus les mieux payés du monde par les télés. Tout ça, c’est l’oeuvre de Roures. Mais ça a aussi contribué à augmenter les inégalités au sein de la Liga.» Jaume Roures n’est plus à un paradoxe près. Le puissant homme d’affaires, qui vend 53,5% du groupe audiovisuel Imagina (Mediapro) pour un milliard d’euros en 2018 et explique la même année que non, payer 25 € par mois pour du football à la télé n’est pas cher, se revendique trotskiste comme à la première heure, celle de la lutte contre la dictature et de ses sept passages dans les geôles franquistes. Il vote Podemos et se rapproche des indépendantistes catalans. «Roures a fait affaire et signé des contrats avec des gens qui lui sont opposés idéologiquement, conclut le journaliste. Beaucoup de ses socios sont d’extrême droite. C’est très contradictoire. Il y a peutêtre une différence entre ce que dit être Roures et ce qu’il est vraiment.»