«Comme un coup de fourche qui vous traverse», témoigne au procès le directeur de la rédaction
La cour d’assises spéciale a entendu les rescapés de l’attaque à «Charlie Hebdo»
« On se demande parfois comment on va quitter la vie, et là, j’ai la réponse. Sur le sol de Charlie, dans mon journal. Je me demandais : “Est-ce que je vais recevoir une balle dans la tête et mourir tout de suite, ou dans les poumons et agoniser?” » La balle s’est finalement logée dans l’épaule de Riss. « C’est comme un coup de fourche ou de pioche, de la ferraille qui vous traverse », décrit le directeur de la rédaction de Charlie Hebdo. Les yeux rivés sur le sol, il raconte, devant la cour d’assises spéciale qui juge les attentats de janvier 2015, son 7 janvier.
« J’attends mon tour »
Presque par réflexe, Riss se jette à terre. Comme tous les survivants, il revient sur ces secondes qui durent une éternité, cette certitude, à chaque tir des frères Kouachi, d’être le prochain. « J’attends mon tour. » Lorsque la balle touche son épaule, il arrête de respirer. Ne pas bouger pour ne pas être repéré. En quelques mots, par timidité ou par pudeur, il évoque les séquelles physiques, ce bras qu’il ne peut plus lever, et les retentissements sur sa vie. Toujours sous protection, il a le sentiment d’être «assigné à domicile». Mais Riss refuse d’être considéré comme une victime. A peine sorti de l’hôpital, le dessinateur a consacré toute son énergie à Charlie Hebdo. « Ça s’imposait, que ça nous plaise ou non. C’était le moment de vérité du journal. Allait-on être à la hauteur de ce qu’on a revendiqué pendant des années? »
Simon Fieschi refuse aussi de se voir comme une victime ou même un rescapé. « Aucun d’entre nous n’a échappé à ce qu’il s’est passé, je me vois plus comme un survivant », explique le webmasteur de Charlie Hebdo, touché par deux balles de kalachnikov. Sa béquille appuyée contre le pupitre, l’homme de 36 ans aux traits adolescents refuse le siège que lui propose le président : « Je tiens à témoigner debout. »
Il est le premier membre de la rédaction à avoir été visé. « Ça a été extrêmement vite, je me souviens d’une porte qui s’ouvre violemment et d’une déflagration.» Mais Simon Fieschi souhaite surtout parler de l’après. Dans un silence absolu, il commence la longue liste de ses douleurs et les conséquences indélébiles de ces deux balles reçues. Les tremblements dans les jambes qui limitent la marche, la perte du toucher et la diminution de la motricité. « Je ne peux plus faire de doigt d’honneur, ça me démange parfois», dit-il en souriant. Cette «fatigue abyssale qui ne disparaît jamais» et qui le contraint à travailler à temps partiel. Signe de la violence du choc, la balle qui l’a touché au niveau de la colonne vertébrale lui a fait perdre 7 cm.
« Je ne peux plus faire de doigt d’honneur. Ça me démange parfois.» Simon Fieschi, webmasteur de «Charlie Hebdo»