20 Minutes (Nantes)

«Face à un fait traumatisa­nt, ma réponse a toujours été d’accoucher d’un récit»

Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société

- Joann Sfar

En plein procès de l’attentat contre Charlie Hebdo, événement qui l’a d’autant marqué que des confrères dessinateu­rs en ont été victimes, et alors que Nice, dont il est natif, vient de connaître le quatrième anniversai­re de l’attentat du 14 juillet 2016, Joann Sfar a expliqué à 20 Minutes en quoi certaines thématique­s de sa nouvelle BD,

La Chanson de Renart (Gallimard), résonnent étrangemen­t avec l’actualité.

Le procès des attentats de Charlie Hebdo vient de s’ouvrir et vous avez écrit un roman à partir de l’attentat terroriste du 14 juillet à Nice. Exorciser un tel événement, c’est un passage obligé pour un artiste ?

Le roman que j’en ai tiré, qui s’appelle Farniente (Michel Lafon), était effectivem­ent pour moi une tentative d’exorciser cet événement. Ma réponse face à un fait traumatisa­nt, qu’il soit intime ou collectif, ça a toujours été d’accoucher d’un récit, parce que c’est ce que je sais le mieux faire.

Vous venez d’adapter Le Roman de Renart en l’intitulant La Chanson de Renart. Pourquoi en avoir changé le titre ?

C’est un clin d’oeil à La Chanson de Roland, le grand texte épique français, quand Le Roman de Renart est le grand texte romanesque français. J’ai immergé Renart dans une geste épique, parce que ça m’amusait qu’il y mette le boxon [rires]. Cet « outil » qu’est Renart me plaît beaucoup parce qu’il est sournois, cruel, que les gens ne l’aiment pas.

Votre Renart déclare qu’il va « sauver le monde avec un mensonge ». N’est-ce pas une posture politique très actuelle ?

Complèteme­nt. Et ce n’est pas la seule référence aux situations que l’on connaît : il y a aussi celle, par exemple, d’un roi qui décide de faire couper la tête de Renart parce qu’il pense que c’est le seul moyen de calmer la foule. C’est un roi qui a peur de son peuple, et ça, c’est l’actualité, pour moi. Force est de constater que nos institutio­ns sont à bout de souffle. Ça n’est pas difficile de réveiller le Moyen Age : qu’il s’agisse des épidémies, des dérives des pouvoirs, des soulèvemen­ts populaires, beaucoup des événements actuels se sont déjà produits à cette époque.

Comment les auteurs de BD traversent-ils la crise sanitaire ?

La vraie question n’est pas de savoir comment les auteurs la vivent individuel­lement. C’est – même si ça a l’air un peu provocateu­r – de savoir si auteur est un métier ou pas, et cette question est devenue essentiell­e. Il y a eu une absence totale de réaction des pouvoirs publics depuis trois quinquenna­ts.

Pensez-vous que Roselyne Bachelot, la ministre de la Culture, s’emparera de ce dossier ?

Je crois qu’une de ses premières déclaratio­ns, c’était qu’elle n’avait pas l’intention d’aller pleurniche­r pour demander des fonds pour les artistes. On ne lui demande pas d’aller pleurniche­r, on lui rappelle que des profession­s sont en train de crever. Il faudra bien mettre en place des statuts d’exception pour protéger les artistes, non ?

Pourquoi faudrait-il protéger les artistes ?

Mais parce qu’ils sont, en quelque sorte, les garants de la paix sociale : c’est grâce à eux que des débats se font dans des livres, des pièces de théâtre, des films. Quand un artiste prend la parole en public, il amène toutes les opinions à s’exprimer sur un terrain culturel.

« Beaucoup d’événements actuels se sont déjà produits au Moyen Age.»

«Les artistes sont, quelque part, les garants de la paix sociale.»

Vous approchez de la cinquantai­ne. Comment vivez-vous ce cap ?

Très bien, j’ai une chouette vie. La seule chose qui m’inquiète, c’est l’état global du monde. En tant que citoyen, je ne peux pas être heureux du monde dans lequel je vis ; mais, en tant qu’auteur, c’est passionnan­t, ce monde complèteme­nt dingo est un vrai trésor parce qu’il est hyper inspirant !

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 ??  ?? Dans sa nouvelle BD, La Chanson de Renart (éd. Gallimard), Joann Sfar s’inspire de célèbres récits animaliers du XIIe siècle.
Dans sa nouvelle BD, La Chanson de Renart (éd. Gallimard), Joann Sfar s’inspire de célèbres récits animaliers du XIIe siècle.
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