Le pacte faustien
Il était là, à la tribune du stade, à la droite du Prince, pour assister à la victoire de son équipe de foot. Vêtu d’un costume bleu marine très strict, amaigri et, curieusement, à peine bronzé, Oleg Chestov, que certains pensaient éloigné à tout jamais depuis le début de la guerre contre l’Ukraine, savourait la remontée aux places d’honneur de son équipe. Une sorte de revanche pour lui aussi.
Ce SDF aux souliers d’or avait erré durant ces trois mois de guerre, de Chypre aux Bahamas, dans une fuite éperdue pour éviter les sanctions occidentales. Son yacht, planqué à la Barbade puis à l’île de Saint-Vincent, quand d’autres avaient choisi les Émirats. Ses avions, interdits de survol du territoire américain, cloués au sol. Il avait connu finalement l’humiliation, lui si fier, si méprisant, convoqué à New York pour rencontrer les hommes en gris, missionnés par la CIA. Ils lui avaient mis le marché en main. Une assurance-vie en forme de chronique funéraire, un pacte avec le diable. Les termes du deal étaient on ne peut plus simples. Soit il collaborait avec les services occidentaux et sauvait son magot, mais alors le Kremlin ne pourrait l’ignorer et en tirerait toutes les conséquences, toutes aussi létales. Soit il continuait son double jeu en ménageant la Russie et l’Occident lui ferait payer.
Pour l’heure, au moment de lever sa coupe de champagne pour fêter la victoire de son équipe, Oleg Chestov s’attarda un temps à regarder la transparence du liquide qui contenait peut-être de quoi l’envoyer dans l’au-delà. (à suivre)