« La reine d’Angleterre Élisabeth II est devenue la grand-mère de l’Europe »
«C ’est vertigineux », s’exclame Adélaïde de Clermont-Tonnerre, directrice de la rédaction de Point de vue, au sujet des soixante-dix ans de règne d’Élisabeth II. L’autrice des Jours heureux (éd. Poche) voit dans la vie d’Élisabeth II un roman. Mais Adélaïde de ClermontTonnerre, qui a participé, jeudi soir, à l’édition spéciale de France 2 consacrée au jubilé, préfère analyser l’impact du règne de la souveraine sur la société. Elle revient sur l’attachement unique, et parfois contradictoire, que le public a pour la monarque.
Que représente Élisabeth II pour Point de vue ?
Le magazine a grandi avec elle. La première couverture en couleur, c’est son couronnement, en 1953. À sa création, en 1945, Point de vue devait être un Life à la française. Et tout comme Élisabeth II, nous avons traversé le XXe siècle.
Est-elle une actrice ou un témoin des époques qu’elle a traversées ?
La reine a été témoin des difficultés de la Seconde Guerre mondiale, notamment. Mais elle a aussi été actrice en tant que cheffe d’État. Elle, et la monarchie avec elle, ont évolué avec l’époque. Elle s’est adaptée aux événements, nombreux, qui ont agité son règne et elle s’est accordée aux révolutions des moeurs. On ne peut pas préjuger des opinions de la reine, qui a le devoir de ne jamais les exprimer, mais on peut juger les faits. Sa soeur n’a pas pu épouser un homme divorcé, mais son fils, Charles, a pu le faire avec Camilla, qui était pourtant la maîtresse honnie… Et Harry a pu épouser Meghan, une divorcée, américaine. Il y a encore deux générations, ça aurait été impensable. Il y aurait eu des évanouissements à Buckingham si quelqu’un avait osé envisager une chose pareille…
Vous la feriez presque passer pour une progressiste…
Peut-être pas, non. Mais, tout en maintenant les traditions et un certain folklore, elle n’est pas du tout une reine protocolaire. Elle est profondément humaine, elle se sert de son intelligence et de sa subtilité. En cela, elle est moderne.
Diriez-vous qu’Élisabeth II est féministe ?
Elle s’en défendrait, elle n’aimerait pas ce mot, parce qu’elle est de sa génération. C’est un mot qui fait encore un peu peur dans son milieu, qu’on commence tout juste à assumer. Mais je pense qu’elle a beaucoup fait pour les femmes. À 25 ans, elle a dû s’imposer dans un milieu très misogyne. Elle a inauguré l’ère moderne des femmes. Cela a aussi été rendu possible grâce à un mari ayant accepté de renoncer à une carrière militaire qui s’annonçait glorieuse. C’est quand même un couple pionnier.
Comment expliquez-vous l’attachement des Français à cette figure de reine anglaise ?
C’est un personnage qui a une influence, bien au-delà du Commonwealth. Depuis quelques années, elle incarne une figure rassurante. On en a eu la preuve avec les réactions à son discours pendant la pandémie de Covid-19. Son message d’espoir, très simple, a suscité des réactions très émues. Sa capacité de résistance est inspirante. Et, même si les Français ne sont pas royalistes, il y a aussi l’attachement à cette figure d’aînée qui, à son âge, continue à remplir ses obligations, à tenir ses engagements. Elle est devenue la grand-mère de l’Europe. Elle envoie un message positif de la vieillesse.
La fascination du public pour la famille royale, c’est aussi ça : un peu de voyeurisme ?
S’identifier aux personnages historiques, c’est cathartique. Audelà de l’apparat, de l’histoire, on aime constater qu’ils sont humains, comme nous. Ils naissent, ils grandissent, ils meurent. Ils s’aiment, ils se déchirent… Les gens ont un affect tout particulier pour eux : de l’amour ou de la détestation, de la pitié, de l’empathie.
« À 25 ans, Élisabeth II a dû s’imposer dans un milieu très misogyne. Elle a inauguré l’ère moderne des femmes. »
Diriez-vous qu’elle a été meilleure grand-mère que mère ?
Peut-être. Et une très bonne arrièregrand-mère aussi. Elle est en train de réussir son dernier grand défi : rabibocher sa famille après l’énorme crise qu’a représenté le « Megxit ». Élisabeth II va même rencontrer sa dernière arrière-petite-fille. Pas mal de grands-mères aimeraient pouvoir gérer leur famille de cette façon.