« Dans le porno amateur, la contrainte sexuelle des femmes fait partie du deal », témoigne le journaliste Robin d’Angelo
Le journaliste Robin D’Angelo a mené une enquête en immersion
Il y a les images sur lesquelles nombre d’individus fantasment, et il y a la réalité : des conditions de tournage qui respectent rarement le droit du travail ou le consentement. Dans son livre Judy, Lola, Sofia et moi (éd. Goutte d’Or) Robin D’Angelo donne à voir le milieu du porno « pro-am », un porno miprofessionnel mi-amateur. Le journaliste l’a infiltré pendant dix-huit mois, en tant que cadreur ou figurant.
Pourquoi avoir voulu enquêter sur ce milieu ?
J’étais animé par une contradiction : je suis à la fois un consommateur occasionnel de porno mainstream, où des femmes se font dominer par des hommes, tout en étant un féministe convaincu. J’ai voulu m’interroger sur ce que représentait cette contradiction. Et je voulais m’intéresser aux conditions de tournage.
Les producteurs, souvent des professionnels, se soucientils du droit du travail et du consentement des actrices ?
La notion de consentement est très particulière dans le porno. La contrainte sexuelle des femmes fait partie du deal, les producteurs ne voient pas le problème, et les filles l’intègrent en se disant qu’elles ne sont pas en position de dire non, par peur de ne plus être appelées. Quant au droit du travail, il y est inexistant. Un gros producteur m’a dit un jour : « Le contrat de droit à l’image, je ne le donne jamais à la fille, sauf si elle le demande. » Beaucoup d’actrices n’ont aucun papier relatif à leurs tournages. Et je ne parle même pas de contrat de travail ! Les producteurs les paient en cash et disent que c’est aux filles de se déclarer en autoentrepreneuses, mais vu ce qu’elles gagnent, elles prennent l’argent et c’est tout.
Est-ce que ce livre a changé votre rapport personnel au porno ?
Je manque de recul pour analyser ça. Mais j’en reviens à ma contradiction : on sait que ce n’est pas un milieu éthique, mais les ressorts des fantasmes et du plaisir sont difficiles à contrôler. Je pense en revanche qu’il y a une réflexion collective à mener. Il ne s’agit pas d’interdire le porno, ni de faire l’autruche au seul motif que son accès est théoriquement interdit aux mineurs. La conséquence, c’est que ces milieux deviennent des zones de non-droit. Il ne me semble pas incongru de réfléchir à un statut légal de travailleur et travailleuse du sexe et de réguler les conditions de tournage.