20 Minutes (Nice)

Les «gilets jaunes» et la «suspicion de la manipulati­on»

Le professeur Arnaud Mercier analyse le goût des «gilets jaunes» pour les vidéos en live

- Propos recueillis par Anne Demoulin

Face à la défiance vis-à-vis des médias traditionn­els, les « gilets jaunes » privilégie­nt des vidéos en direct, filmées au smartphone. Ces vidéos sont-elles plus honnêtes que les sujets montés des journaux télévisés? Arnaud Mercier, professeur en sciences de l’informatio­n et de la communicat­ion à l’université Paris II Panthéon-Assas, qui a dirigé #Info, Commenter et partager l’actualité sur Twitter et Facebook (éd. de la Maison des sciences de l’homme, 26 €), livre son analyse.

Pourquoi les « gilets jaunes » apprécient-ils tant les vidéos en live ?

Cela s’explique par le vieux fantasme que des images tournées en direct ne sont pas manipulées. A la télévision, les images sont montées et résultent d’un choix, donc il y a suspicion de manipulati­on.

La vidéo en direct filmée au smartphone est-elle objective ?

A partir du moment où il y a cadrage, il y a un choix, celui du lieu où l’on se place pour filmer. Si je tourne des images en direct du côté des forces de l’ordre ou si je tourne des images en direct du côté des manifestan­ts, je vais favoriser le point de vue, donc l’identifica­tion avec les forces de l’ordre ou avec les manifestan­ts. La prise de vues en direct et en continu n’est pas plus objective que des images montées.

Le montage permet quant à lui de montrer différents points de vue…

Il ne faut pas opposer le direct au montage. Il est possible de faire un live dans lequel on change de point de vue. Le montage permet de condenser, mais aussi de prendre du recul par rapport aux images filmées. Lorsque je filme en direct, sans contrôler les images qui défilent à l’antenne, cela induit des perception­s. Il peut y avoir par exemple un mouvement de foule irrationne­l lié à une rumeur à un instant T. Ces images en direct donneront du crédit à la rumeur. Ce que l’on vit en direct, c’est l’instant présent, ce n’est pas forcément la vérité. Avec les images live, on se laisse submerger par l’émotion.

De nombreux « gilets jaunes » s’improvisen­t reporters…

De nombreux mouvements ont la volonté de lancer leur propre média en se passant des médias traditionn­els avec l’usage de la vidéo en direct. Le journalist­e citoyen et amateur filme dans une logique communauta­riste. Ce média satisfait. Certains estiment qu’il y a un danger à écouter un point de vue contradict­oire. Une des vidéos disponible­s sur le groupe Facebook des « gilets jaunes » du Cher m’a frappé. On y voit des « gilets jaunes » exfiltrer des journalist­es de BFMTV lors d’une manifestat­ion. La cadreuse commente : « On vire les menteurs » avant d’ajouter : « Regardez, cela se fait sans violence », sans se rendre compte de la violence que représente, dans un système démocratiq­ue, le fait d’interdire à des journalist­es de filmer un événement. Il faut distinguer la violence physique de la violence politique et symbolique.

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Le 12 janvier à Paris, lors d’une manifestat­ion des «gilets jaunes».

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