20 Minutes (Nice)

Erdogan, l’adversaire le plus craint par Enes Kanter

Le joueur turc Enes Kanter s’oppose au président Recep Erdogan

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Enes Kanter est le joueur le plus politisé de la NBA. Tête de turc des pro-Erdogan pour ses saillies remettant en cause la vitalité démocratiq­ue de son pays d’origine, le pivot des New York Knicks a annoncé faire l’impasse sur le match délocalisé de son équipe à Londres, jeudi, face à Washington. «C’est triste que des choses pareilles empêchent quelqu’un de travailler, mais c’est comme ça avec ce dictateur [Erdogan], a justifié Kanter. Ce ne serait pas difficile de m’assassiner là-bas. Le régime a beaucoup d’espions à Londres.»

Hank Fetic, ami d’enfance et manager de Kanter, explique à 20 Minutes le vrai enjeu de ce (non-)déplacemen­t : «Personne ne va chercher à le tuer. Mais on a peur qu’Enes ne puisse plus sortir du territoire une fois là-bas. C’est comme ça qu’a procédé la Grande-Bretagne avec Hakim Ipek, un opposant au régime qui risque l’extraditio­n en Turquie. » Au pays, Enes Kanter risque quatre ans de prison pour avoir insulté à plusieurs reprises Recep Tayyip Erdogan sur les réseaux sociaux. Le garçon a préféré en rire sur le coup : « Quatre ans seulement pour tout le mal que j’ai dit ? » Mais une grosse frayeur a fini par lui ôter son envie de blaguer. Au printemps 2017 en Indonésie, le pivot a été prévenu de la visite imminente de deux policiers dans un pays aux relations confortabl­es avec Erdogan. La suite? Une fuite à l’anglaise au milieu de la nuit pour prendre le premier avion qui lui permette de quitter le pays. L’épisode a poussé le joueur à raconter sa mésaventur­e sur The players’ tribune, le média où les sportifs s’expriment sans filtre. «Je ne suis plus revenu en Turquie depuis deux ans, raconte Enes Kanter. Je n’ai pas parlé à mes parents ces deux dernières années. Je ne peux plus parler à mes amis en Turquie. Aujourd’hui, je n’ai plus de pays». Le joueur est aussi accusé par le pouvoir d’être un proche de Fethullah Gülen, ancien allié d’Erdogan, considéré comme l’instigateu­r du coup d’Etat manqué de juillet 2016. Une proximité que le basketteur ne cache pas. L’ancien pivot du Thunder passe beaucoup de temps au domicile de l’intellectu­el musulman, exilé en Pennsylvan­ie. «C’est le seul endroit où il peut avoir des discussion­s politiques avec des compatriot­es et parler du pays», résume son manager, qui décrit comment la Turquie essaie d’effacer Kanter de la mémoire collective. « Enes est privé de sélection depuis 2011, et les chaînes turques refusent de passer les matchs des Knicks. La Turquie, c’est comme la Corée du Nord, il n’y a aucune place pour les opinions dissidente­s et les médias d’opposition. » « Il est faux de dire qu’Enes Kanter est un opposant, tempère Fatih Karakaya, journalist­e turc résidant en France. C’est un simple sportif qui joue en NBA. Sa renommée tient davantage aux controvers­es qu’il suscite qu’à son talent.» Un jugement un peu sévère pour le troisième de la draft 2011, capable de grosses séquences offensives. Un peu le même profil que son jeune frère Kerem, le dernier membre de la famille Kanter en lien avec Enes. Leur père, ex-enseignant, attend son procès pour le mois de mars : il risque quinze ans de prison pour appartenan­ce à un groupe terroriste, le Feto de Gülen. Mehmet Kanter a renié publiqueme­nt son fils il y a plusieurs mois, sans qu’on sache s’il y a été contraint ou non. « Je ne sais pas si je le reverrai un jour», a l’habitude de répéter Enes, qui espère obtenir la nationalit­é américaine en 2021 afin de voyager plus librement. «Il y aura toujours des gens pour s’en prendre à lui, estime son ami. Il est prêt à ne plus revoir son pays pendant un très long moment. » Julien Laloye

« Je ne sais pas si je le reverrai un jour. »

Enes Kanter, à propos de son père, jugé en mars

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Enes Kanter.

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