Dans l’e-sport, les attaques sexistes sont de la partie
Les femmes, qui ne représentent que 10% de la communauté, font souvent l’objet de moqueries sexistes
«Oh mon Dieu, une fille!» Dans l’esport, une femme au clavier, ça surprend toujours. Moqueries, attaques sexistes et parfois même insultes : pour entrer «dans le game» quand on est une femme, il faut savoir encaisser. «J’ai commencé à jouer à Counter Strike sur des serveurs FFA (Free for all) qui nous permettaient de nous parler entre joueurs. Mais moi, je parlais peu, car je ne voulais pas qu’on sache que j’étais une femme», raconte Laura Déjou, aka Nasty, ancienne joueuse professionnelle, aujourd’hui coach d’une équipe Fortnite pour MCES. Très peu présentes sur la scène professionnelle, les femmes sont quasi absentes des podiums. Pour elles, difficile de briser le plafond de verre qui les condamne à jouer dans leur salon. Un constat qu’illustrent les derniers chiffres du baromètre France Esports : si les femmes représentent 48% des joueurs et joueuses «grand public» (Candy Crush compris), elles ne sont que 10% à faire le show en compétition. Résultat? Une exposition accrue lors des championnats. Et des dérapages. « J’ai fait partie d’une équipe féminine de 2008 à 2017, se souvient Laura Déjou. Lors des compétitions, nous jouions contre d’autres équipes féminines, mais aussi contre des équipes “mixtes”, uniquement composées d’hommes. Si on se mettait à perdre, alors ils commençaient à nous manquer de respect et à nous balancer des propos sexistes.» Pourtant, d’autres joueuses professionnelles, comme
Kayane, ont choisi d’assumer. Joueuse professionnelle adepte de «Street fighter» et de «Dead or Alive», et présentatrice de l’émission «Game One E-Sport» depuis sept ans, elle a commencé à squatter les compétitions à l’âge de 9 ans. «Je me souviens que, lors de mon premier championnat, l’organisateur a d’abord refusé de prendre mon inscription. J’étais une fille et en plus j’étais très jeune. Je crois que ça faisait beaucoup!» s’amuse-t-elle. De nombreuses récompenses plus tard, Kayane avoue vivre plus sereinement son statut de femme dans le monde du jeu vidéo. Mais, malgré les prix et la notoriété – Kayane détient le record féminin mondial du nombre de podiums aux jeux de combat –, les joueuses ne sont pas plus épargnées. Alors, elles doivent faire face au cyberharcèlement, dont beaucoup sont victimes, aux insultes plus ou moins violentes et aux trop nombreux obstacles. «Les organisateurs nous disaient que c’était un événement organisé pour les garçons, pas pour les filles. Une fois, on m’a aussi déjà traitée de salope», raconte Servane Fischer, ancienne joueuse professionnelle, aujourd’hui juriste chez Ubisoft et membre de l’association Women in Games.
Des comportements inappropriés que Désiré Koussawo, directeur général chez ESL France, a déjà pu observer lors de LAN (Local Area Network) notamment. Très investi depuis plusieurs années dans le milieu associatif du jeu vidéo, il a vu les femmes tenter de se faire une place au côté des joueurs et professionnels. «Il y a une vraie réserve des équipes à intégrer des filles et des femmes », assure-t-il. Le directeur général constate avec amertume que beaucoup de joueurs émettent des doutes sur le fait qu’une équipe de haut niveau puisse vraiment fonctionner avec des femmes. A tort? «Il n’y a pas assez de pratiquantes, donc pas assez de pratique chez les femmes. Leur niveau peut donc difficilement atteindre celui des hommes, faute d’un nombre de joueuses suffisant.»
La scène compétitive semble tout de même moins réticente à accueillir de nouvelles joueuses au sein d’équipes mixtes aujourd’hui. Depuis les débuts de l’e-sport, les regards ont changé. Les éditeurs de jeux vidéo et les sponsors ont flairé le bon filon. «De plus en plus de marques s’intéressent aux femmes, analyse Laura Déjou. Et il y a de plus en plus d’investisseurs qui comprennent les enjeux de la mixité. Ça devient presque la honte d’avoir une équipe et un staff uniquement composés d’hommes.»
« On m’a déjà traitée de salope. » Servane Fischer, ancienne joueuse professionnelle
«Il y a une vraie réserve des équipes à intégrer des filles.» Désiré Koussawo, directeur général chez ESL France