20 Minutes (Nice)

« A court terme, quitter la Terre pour préserver l’espèce n’est pas un plan de secours »

Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société

- Propos recueillis par Emilie Petit

Les microbes et l’espace, ce sont ses trucs. Cyprien Verseux, astrobiolo­giste au Zarm (centre de technologi­e spatiale et appliquée et de microgravi­té, implanté en Allemagne), vit au rythme de ses recherches sur Mars. La planète rouge l’a notamment amené à s’enfermer en 2018 pendant neuf mois sur la base Concordia, en Antarctiqu­e, où les températur­es frôlent les -100 °C. Le confinemen­t, imposé pour lutter contre le coronaviru­s, n’était donc pas une première pour lui. Comme le déconfinem­ent.

Dès le début du confinemen­t, vous avez lancé sur votre blog, « Mars la blanche », un guide pratique de la quarantain­e. Votre premier conseil : «Abandonnez la culpabilit­é. »

Au début, beaucoup de proches m’ont appelé. Des gens qui, d’habitude, étaient plutôt productifs et heureux. Mais, à ce moment-là, ils avaient tendance à ne pas réussir à se motiver à faire quoi que ce soit. Et ils se sentaient coupables. Or, ça ne sert à rien dans cette situation. Ça a même plutôt tendance à empirer les choses. Lors de ma mission à Concordia, on avait réfléchi à des stratégies pour, justement, aller le mieux possible. J’ai donc voulu les partager. Mais les personnes avec qui on vit le confinemen­t changent énormément l’expérience…

Pendant ce confinemen­t ont émergé de nouvelles manières de travailler, de se cultiver… très liées aux nouvelles technologi­es. Comme sur Mars, ou à Concordia, notre survie pourrait-elle, à terme, ne dépendre que de ces technologi­es?

Sur Terre, pas forcément. Sur Mars, évidemment oui, car l’atmosphère n’est pas respirable. Lors d’une autre mission, à Hawaï, on avait accès à plein de nouvelles technologi­es pour générer de l’électricit­é, entre autres, mais on n’avait pas Internet! Et on s’en sortait très bien!

Avec cette crise sanitaire, mais aussi le réchauffem­ent climatique, la Terre risque de devenir, à terme, une planète inhospital­ière. Pouvons-nous espérer, un jour, nous installer sur une autre planète?

On parle, parfois, d’aller s’installer sur d’autres planètes pour pouvoir préserver l’espèce. Sauf que, ceux qui disent ça pensent à très très très long terme! C’est vrai, un jour, la Terre sera inhabitabl­e, ne serait-ce que parce que le Soleil finira par la réchauffer bien plus que maintenant. Mais, même si on arrive à terraforme­r [créer une atmosphère voisine de celle de la Terre pour donner à une planète des conditions de vie similaires à celle de l’être humain], Mars ne sera jamais aussi hospitaliè­re que la Terre aujourd’hui. Donc, partir sur une autre planète pour préserver l’espèce à très très long terme sera sans doute nécessaire. Mais, à court terme, ce n’est pas un plan de secours. Si la Terre est inhabitabl­e dans les décennies qui viennent, c’est terminé. On n’ira pas sur Mars.

En juillet, trois missions sur Mars devraient être lancées et permettrai­ent de

recueillir des échantillo­ns de sol. Y a-t-il un risque de rapporter sur Terre des agents pathogènes qui pourraient affecter les êtres humains?

Il est extrêmemen­t improbable que des microbes puissent nous infecter s’ils ont évolué loin de cellules ressemblan­t aux nôtres. Cela dit, ils pourraient nuire à notre écosystème par d’autres moyens, et les échantillo­ns seront donc traités avec énormément de précaution­s. C’était d’ailleurs déjà le cas pour les échantillo­ns lunaires. Les installati­ons et les procédures seront plus rigoureuse­s aujourd’hui, parce que les technologi­es liées à la biosécurit­é ont évolué, et que Mars a bien plus de chances que la Lune d’abriter des formes de vie.

Vous décrivez, à la fin de votre livre Un hiver antarctiqu­e (éd. Hugo Image), le choc du retour à la ville, après plusieurs mois à Concordia. Pourquoi est-ce si difficile de reprendre ses marques après un confinemen­t?

A l’époque, j’avais un désavantag­e : quand je suis revenu à la vie normale, j’étais le seul à avoir été confiné. Là, tout le monde reprend ses marques en même temps. Mais il est important de garder à l’esprit que tout ne redeviendr­a pas «normal» immédiatem­ent. Ça peut aussi être l’occasion de changer nos habitudes.

« A Hawaï, on n’avait pas Internet et on s’en sortait sans ! » « Tout ne redeviendr­a pas normal tout de suite. »

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 ??  ?? Cyprien Verseux lors de sa mission de neuf mois sur la base Concordia, en Antarctiqu­e, en 2018, où les températur­es frôlent parfois les -100°C.
Cyprien Verseux lors de sa mission de neuf mois sur la base Concordia, en Antarctiqu­e, en 2018, où les températur­es frôlent parfois les -100°C.
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