« A court terme, quitter la Terre pour préserver l’espèce n’est pas un plan de secours »
Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société
Les microbes et l’espace, ce sont ses trucs. Cyprien Verseux, astrobiologiste au Zarm (centre de technologie spatiale et appliquée et de microgravité, implanté en Allemagne), vit au rythme de ses recherches sur Mars. La planète rouge l’a notamment amené à s’enfermer en 2018 pendant neuf mois sur la base Concordia, en Antarctique, où les températures frôlent les -100 °C. Le confinement, imposé pour lutter contre le coronavirus, n’était donc pas une première pour lui. Comme le déconfinement.
Dès le début du confinement, vous avez lancé sur votre blog, « Mars la blanche », un guide pratique de la quarantaine. Votre premier conseil : «Abandonnez la culpabilité. »
Au début, beaucoup de proches m’ont appelé. Des gens qui, d’habitude, étaient plutôt productifs et heureux. Mais, à ce moment-là, ils avaient tendance à ne pas réussir à se motiver à faire quoi que ce soit. Et ils se sentaient coupables. Or, ça ne sert à rien dans cette situation. Ça a même plutôt tendance à empirer les choses. Lors de ma mission à Concordia, on avait réfléchi à des stratégies pour, justement, aller le mieux possible. J’ai donc voulu les partager. Mais les personnes avec qui on vit le confinement changent énormément l’expérience…
Pendant ce confinement ont émergé de nouvelles manières de travailler, de se cultiver… très liées aux nouvelles technologies. Comme sur Mars, ou à Concordia, notre survie pourrait-elle, à terme, ne dépendre que de ces technologies?
Sur Terre, pas forcément. Sur Mars, évidemment oui, car l’atmosphère n’est pas respirable. Lors d’une autre mission, à Hawaï, on avait accès à plein de nouvelles technologies pour générer de l’électricité, entre autres, mais on n’avait pas Internet! Et on s’en sortait très bien!
Avec cette crise sanitaire, mais aussi le réchauffement climatique, la Terre risque de devenir, à terme, une planète inhospitalière. Pouvons-nous espérer, un jour, nous installer sur une autre planète?
On parle, parfois, d’aller s’installer sur d’autres planètes pour pouvoir préserver l’espèce. Sauf que, ceux qui disent ça pensent à très très très long terme! C’est vrai, un jour, la Terre sera inhabitable, ne serait-ce que parce que le Soleil finira par la réchauffer bien plus que maintenant. Mais, même si on arrive à terraformer [créer une atmosphère voisine de celle de la Terre pour donner à une planète des conditions de vie similaires à celle de l’être humain], Mars ne sera jamais aussi hospitalière que la Terre aujourd’hui. Donc, partir sur une autre planète pour préserver l’espèce à très très long terme sera sans doute nécessaire. Mais, à court terme, ce n’est pas un plan de secours. Si la Terre est inhabitable dans les décennies qui viennent, c’est terminé. On n’ira pas sur Mars.
En juillet, trois missions sur Mars devraient être lancées et permettraient de
recueillir des échantillons de sol. Y a-t-il un risque de rapporter sur Terre des agents pathogènes qui pourraient affecter les êtres humains?
Il est extrêmement improbable que des microbes puissent nous infecter s’ils ont évolué loin de cellules ressemblant aux nôtres. Cela dit, ils pourraient nuire à notre écosystème par d’autres moyens, et les échantillons seront donc traités avec énormément de précautions. C’était d’ailleurs déjà le cas pour les échantillons lunaires. Les installations et les procédures seront plus rigoureuses aujourd’hui, parce que les technologies liées à la biosécurité ont évolué, et que Mars a bien plus de chances que la Lune d’abriter des formes de vie.
Vous décrivez, à la fin de votre livre Un hiver antarctique (éd. Hugo Image), le choc du retour à la ville, après plusieurs mois à Concordia. Pourquoi est-ce si difficile de reprendre ses marques après un confinement?
A l’époque, j’avais un désavantage : quand je suis revenu à la vie normale, j’étais le seul à avoir été confiné. Là, tout le monde reprend ses marques en même temps. Mais il est important de garder à l’esprit que tout ne redeviendra pas «normal» immédiatement. Ça peut aussi être l’occasion de changer nos habitudes.
« A Hawaï, on n’avait pas Internet et on s’en sortait sans ! » « Tout ne redeviendra pas normal tout de suite. »