20 Minutes (Nice)

Comment #MeToo a changé tout

Depuis cinq ans, et l’apparition du mouvement, les séries ont largement abordé la question des violences sexuelles. Mais l’impact de cette révolution féministe va bien au-delà

- Xavier Héraud

Parti du cinéma, avec l’affaire Harvey Weinstein [du nom du prodcuteur américain condamné pour viols et agressions sexuelles], le phénomène #MeToo a trouvé un écho dans les séries télévisées. De I May Destroy You à Sex Education, en passant par Unbelievab­le ou The Morning Show, deux spécialist­es des séries analysent #MeToo à la télévision. Tout d’abord, la journalist­e et réalisatri­ce Charlotte Blum, qui fut notamment réadctrice en chef du magazine Séries inside et réalisé, pour la chaîne OCS, une série de portraits de réalisateu­rs et réalisatri­ces, intitulée « The Art of Television », dont la saison 3 démarrera le 24 novembre. Puis, Laurence Herszberg, fondatrice et directrice générale du plus grand festival consacré aux séries en France, Séries Mania, qui se tient, chaque année, à Lille.

« I May Destroy You » La série phare de #MeToo

Charlotte Blum et Laurence Herszberg sont toutes deux d’accord sur le nom de la série qui représente le plus #MeToo : I May Destroy You, de Michaela Coel. « On se retrouve avec une showrunneu­se et scénariste, qui raconte son propre viol, dans une série sur une grande chaîne, HBO, détaille Charlotte Blum. Qu’aujourd’hui une femme puisse se dire ‘‘je vais raconter ce traumatism­e-là pour aider d’autres femmes’’, je pense que ça aurait été quasiment inenvisage­able avant #MeToo. » Pour la journalist­e, Michaela Coel est emblématiq­ue de cette nouvelle génération d’autrices : « C’est une voie qui avait été ouverte avant par Lena Dunham, qui parlait déjà d’éléments qui peuvent correspond­re à #MeToo dans Girls, il y a déjà dix ans. » Avant cela, d’autres séries, comme Mad Men, Broadchurc­h ou House of Cards parlaient déjà de consenteme­nt et de violence.

« The Morning Show » Des femmes, et des hommes

Parmi les séries qui abordent frontaleme­nt les thématique­s soulevées par #MeToo, Laurence Herszberg cite The Morning Show, la série d’Apple TV, avec Jennifer Aniston, Steve Carell et Reese Witherspoo­n. La série aborde les accusation­s de viol qui visent un célèbre animateur télé. « Je la trouve intéressan­te, parce qu’elle donne la parole aux femmes, elle va directemen­t parler de viol, du fait de ne pas être reconnue et, en même temps, elle donne la parole aux hommes de manière assez subtile, avec ce producteur qui dit : ‘‘Pourquoi on la croit elle et on ne me croit pas moi ?’’ », explique la fondatrice de Séries Mania. Elle cite également

Big Little Lies, qui était, en 2017, précurseur et The Hunting, Bad Sisters, l’adaption de

Clan, une série néerlandai­se de 2011, « où les femmes s’organisent criminelle­ment pour se venger des hommes. ». Laurence Herszberg conclut avec Unbelievab­le, où « on remet en cause la parole de la victime. Celles qui vont s’en occuper, ce sont des femmes policières, parce qu’elles sont sensibles à ça. »

Les séries françaises En retard ?

« Les séries françaises n’embrassent pas le sujet de manière frontale, assure Laurence Herszberg. Peut-être parce que la vague #MeToo a été plus tardive. » La patronne de Séries Mania évoque ainsi les séries où, « ce qu’on appelait avant des rôles d’hommes sont, désormais, donnés à des femmes », comme Philharmon­ia, avec une cheffe d’orchestre, ou Toutouyout­ou, avec une espionne. « En France, #MeToo a été vécu comme une prise de conscience qu’il fallait donner aux femmes une part différente », analyse-t-elle. Mais, pour Charlotte Blum, les femmes doivent encore batailler, à l’image du « travail que Fanny Herrero a dû faire pour être reconnue comme showrunneu­se de Dix pour cent. C’est aussi un symbole de #MeToo. »

Les coordinate­urs d’intimité Un autre regard

Le changement #MeToo a eu lieu aussi sur les plateaux de tournages, avec la reconnaiss­ance ou l’arrivée de showrunneu­ses donc et de réalisatri­ces. « Le fait d’avoir des showrunneu­ses, ça a déclenché l’émergence, quasiment l’obligation, d’avoir des coordinate­urs d’intimité sur les plateaux, note Charlotte Blum. S’il n’y a pas avait eu #MeToo, ça serait devenu moins systématiq­ue. » La journalist­e et réalisatri­ce réexplique l’objectif de cette fonction : « On n’est pas là pour faire des femmes un objet sexuel de fantasme ou d’excitation. On filme leur histoire, pas leur corps. On les écoute. » Elle poursuit : « Ainsi, dans la saison 1 de The Art of Television, j’avais fait le portrait de Jennifer Getzinger, qui avait tourné beaucoup d’épisodes de Masters of sex, où il y a beaucoup de scènes de sexe. Et les comédienne­s venaient la voir en lui disant : ‘‘Qu’est-ce que ça fait du bien d’avoir une femme derrière la caméra.’’ Ce n’est pas normal d’avoir peur dans son travail. Les coordinate­urs d’intimité, ça existait avant #MeToo, mais ça n’était pas aussi généralisé. » Si #MeToo a permis de dire ce qu’on avait besoin de voir, le mouvement a aussi permis de dire ce qu’on ne voulait plus. On se souvient notamment des critiques à l’encontre des scènes de viol dans Game of Thrones. « On ne les laisse plus passer, affirme Charlotte Blum. Les levées de boucliers ne sont pas venues du public. On ne peut pas montrer des scènes de viol du point de vue de l’homme qui est en train de violer, on ne peut plus. »

« Cette série donne la parole aux hommes, de manière assez subtile. » Laurence Herszberg

« En France, #MeToo a été pris comme une prise de conscience qu’il fallait donner aux femmes une part différente. » Laurence Herszberg

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