Épisode 2 : Dernière route

L’ambiance bat son plein dans le restaurant. C’est un peu pour cela qu’André s’arrête à cette heure, chaque semaine, dans cet établissement précis. Le brouhaha des routiers, le claquement des assiettes sur l’Inox du passe-plat, accompagné de l’annonce sonore dunumérodecommande,lessouriresdesserveuses… Tout ce désordre a toujours su réchauffer le coeur du vieux conducteur. Trente ans qu’il roule, trente ans de lieux plus ou moins douteux, dans lesquels il en a vu des rêves se faire et se défaire. Il trempe une frite dans la sauce maronnasse qui accompagne son jambon à l’os. L’appétit lui manque. - Hé, salut, Dédé!

André lève les yeux vers celui qui l’interpelle.

- Salut, Nico. Tu vas bien ?

- Tu partages ta table ?

Sans un mot, André opine du chef.

- Ben, dis donc, tu es loquace ce soir, mon vieux.

- Excuse-moi, je ne suis pas de bonne compagnie.

- Mauvaise route?

- Dernière route… Pas de quoi se réjouir. Je n’ai plus la force de ce travail, mais c’est tout ce que j’ai. Alors, tu te doutes que je n’ai pas envie de trinquer. Le vieux se lève. Son arthrose rend le mouvement lent et saccadé. Aucune grimace ne vient tordre sa bouche, malgré la douleur. La fierté, la dignité, c’est tout ce qu’il lui reste. Le soleil pointe le bout de son nez, André bouge un peu sur son siège. La CB grésille, pour lui, c’est un lien direct avec le passé. Une voix envahit l’habitacle. - André ?

Oui, il est encore là, mais il s’imagine en paix, le corps reposé, l’esprit apaisé. D’un geste sûr, il répond : - Présent.

Un claquement retentit dans la radio. Le silence fait place aux parasites de la CB. (à suivre)