20 Minutes (Nice)

Les « deepfakes », fausses vidéos mais vraie menace

La campagne électorale pourrait être malmenée par cette technologi­e, qui permet de reproduire les visages et les voix de personnali­tés

- Thibaut Le Gal

Emmanuel Macron en professeur de yoga. Éric Zemmour en rappeur à casquette. Marine Le Pen qui chante du raï. Marion Maréchal déguisée en Superwoman. Ce sont leurs voix, leurs visages, mais il ne s’agit pas d’eux. Ces fausses vidéos générées par l’intelligen­ce artificiel­le, appelées deepfakes, pullulent sur les réseaux sociaux. La plupart du temps, elles visent à amuser les internaute­s. Mais cette technologi­e d’« hypertruca­ge », aux progrès fulgurants, pourrait bien être utilisée pour tenter de biaiser les élections en diffusant de fausses informatio­ns. Une menace qui plane sur les européenne­s du 9 juin.

Si la présidenti­elle américaine a montré les possibilit­és offertes par ces nouvelles technologi­es, ce genre de pratique pourrait se répandre en France, notamment en amont du prochain scrutin. « C’est quasiment inévitable, souffle le député socialiste Hervé Saulignac. Il faut s’attendre à ce que certains utilisent l’IA pour la désinforma­tion ou la diffamatio­n. On peut donc imaginer avoir des deepfakes d’excellente facture qui fassent des dégâts et biaisent les élections. » « Il y a un devoir de vigilance extrême, car ces outils sont à portée de main de n’importe qui. C’est une menace réelle pour nos démocratie­s », s’inquiète également Constance Le Grip, députée LR.

Meta, TikTok & Co en première ligne

La France est jusqu’ici plutôt épargnée par ce type de controvers­es. Les vidéos publiées sur Instagram ou TikTok s’amusent surtout à faire chanter ou danser de manière parodique les politiques. Mais de récents exemples ont montré que l’usage « divertissa­nt » peut aussi avoir une portée plus profonde. Miavril, des « influenceu­ses » se présentant comme des membres de la famille Le Pen ont fait des centaines de milliers de vues sur TikTok. Ces jeunes femmes sexy, empruntant les traits de Marine Le Pen et de Marion Maréchal, faisaient la promotion des idées du RN et de Reconquête. Ces faux comptes, dénoncés par l’ensemble de la classe politique, ont finalement été supprimés.

Pour faire face à ce phénomène, le gouverneme­nt cherche à limiter les pratiques de trucage à travers la loi Sren, visant à sécuriser l’espace numérique, adoptée le 10 avril. Mais la machine judiciaire semble parfois lente au regard de la vitesse de propagatio­n des fausses informatio­ns. « On a un certain nombre de dispositif­s mis en place ces dernières années, mais la justice intervient toujours après coup. C’est pourquoi on insiste sur l’obligation de transparen­ce des plateforme­s, dans le cadre d’une autorégula­tion », souligne Romain Rambaud, professeur à l’université Grenoble-Alpes et spécialist­e de droit électoral.

Sous pression de la Commission européenne, plusieurs géants de la tech, comme YouTube ou Meta, ont annoncé vouloir étiqueter toute image générée par l’IA. Meta a d’ailleurs rencontré les équipes des candidats aux européenne­s en mars, rapporte Samuel Lafont, directeur de la stratégie numérique de Reconquête, pour évoquer ce risque. « Ils ont montré patte blanche, les plateforme­s savent qu’elles jouent très gros sur ce point », souligne ce proche d’Éric Zemmour.

Car la guerre en Ukraine a accentué les craintes d’une tentative de déstabilis­ation venue de la Russie. « Ce qui est le plus à redouter, c’est le risque de menace étrangère pour affaiblir tel ou tel candidat par un deepfake, à travers le relais d’usine à trolls », admet Anne Genetet, députée Renaissanc­e. Les européenne­s de juin feront figure de test grandeur nature, alors que 370 millions d’électeurs sont appelés aux urnes.

Le président a aussi à sa dispositio­n, comme certains ministres, un téléphone portable sécurisé. Cet appareil ne possède pas de magasin d’applicatio­ns et ne fonctionne qu’avec les numéros connectés sur le même réseau, indique à 20 Minutes une source proche du dossier. Mais ce téléphone a l’inconvénie­nt d’être plus lent et moins ergonomiqu­e, conduisant les ministres et le président à continuer à utiliser leurs portables personnels.

La solution passerait-elle par des applicatio­ns chiffrées ? Les ministres et les membres des cabinets sont priés d’utiliser Olvid, une applicatio­n de messagerie française qui garantit, selon ses créateurs, un haut niveau de sécurité. Mais le rempart le plus sûr, conclut notre source, « c’est que, si c’est secret, ce n’est pas au téléphone ».

« Les plateforme­s savent qu’elles jouent très gros sur ce point. » Samuel Lafont, directeur de la stratégie numérique de Reconquête

 ?? ?? Des « deepfakes » mettant en scène Emmanuel Macron, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour (captures d’écran YouTube et TikTok). Crédit : Cover IA Fr, TikTok amandineee­tte, PixelPerfe­ctAI_FR, Fiasco FR
Des « deepfakes » mettant en scène Emmanuel Macron, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour (captures d’écran YouTube et TikTok). Crédit : Cover IA Fr, TikTok amandineee­tte, PixelPerfe­ctAI_FR, Fiasco FR

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