Les « deepfakes », fausses vidéos mais vraie menace
La campagne électorale pourrait être malmenée par cette technologie, qui permet de reproduire les visages et les voix de personnalités
Emmanuel Macron en professeur de yoga. Éric Zemmour en rappeur à casquette. Marine Le Pen qui chante du raï. Marion Maréchal déguisée en Superwoman. Ce sont leurs voix, leurs visages, mais il ne s’agit pas d’eux. Ces fausses vidéos générées par l’intelligence artificielle, appelées deepfakes, pullulent sur les réseaux sociaux. La plupart du temps, elles visent à amuser les internautes. Mais cette technologie d’« hypertrucage », aux progrès fulgurants, pourrait bien être utilisée pour tenter de biaiser les élections en diffusant de fausses informations. Une menace qui plane sur les européennes du 9 juin.
Si la présidentielle américaine a montré les possibilités offertes par ces nouvelles technologies, ce genre de pratique pourrait se répandre en France, notamment en amont du prochain scrutin. « C’est quasiment inévitable, souffle le député socialiste Hervé Saulignac. Il faut s’attendre à ce que certains utilisent l’IA pour la désinformation ou la diffamation. On peut donc imaginer avoir des deepfakes d’excellente facture qui fassent des dégâts et biaisent les élections. » « Il y a un devoir de vigilance extrême, car ces outils sont à portée de main de n’importe qui. C’est une menace réelle pour nos démocraties », s’inquiète également Constance Le Grip, députée LR.
Meta, TikTok & Co en première ligne
La France est jusqu’ici plutôt épargnée par ce type de controverses. Les vidéos publiées sur Instagram ou TikTok s’amusent surtout à faire chanter ou danser de manière parodique les politiques. Mais de récents exemples ont montré que l’usage « divertissant » peut aussi avoir une portée plus profonde. Miavril, des « influenceuses » se présentant comme des membres de la famille Le Pen ont fait des centaines de milliers de vues sur TikTok. Ces jeunes femmes sexy, empruntant les traits de Marine Le Pen et de Marion Maréchal, faisaient la promotion des idées du RN et de Reconquête. Ces faux comptes, dénoncés par l’ensemble de la classe politique, ont finalement été supprimés.
Pour faire face à ce phénomène, le gouvernement cherche à limiter les pratiques de trucage à travers la loi Sren, visant à sécuriser l’espace numérique, adoptée le 10 avril. Mais la machine judiciaire semble parfois lente au regard de la vitesse de propagation des fausses informations. « On a un certain nombre de dispositifs mis en place ces dernières années, mais la justice intervient toujours après coup. C’est pourquoi on insiste sur l’obligation de transparence des plateformes, dans le cadre d’une autorégulation », souligne Romain Rambaud, professeur à l’université Grenoble-Alpes et spécialiste de droit électoral.
Sous pression de la Commission européenne, plusieurs géants de la tech, comme YouTube ou Meta, ont annoncé vouloir étiqueter toute image générée par l’IA. Meta a d’ailleurs rencontré les équipes des candidats aux européennes en mars, rapporte Samuel Lafont, directeur de la stratégie numérique de Reconquête, pour évoquer ce risque. « Ils ont montré patte blanche, les plateformes savent qu’elles jouent très gros sur ce point », souligne ce proche d’Éric Zemmour.
Car la guerre en Ukraine a accentué les craintes d’une tentative de déstabilisation venue de la Russie. « Ce qui est le plus à redouter, c’est le risque de menace étrangère pour affaiblir tel ou tel candidat par un deepfake, à travers le relais d’usine à trolls », admet Anne Genetet, députée Renaissance. Les européennes de juin feront figure de test grandeur nature, alors que 370 millions d’électeurs sont appelés aux urnes.
Le président a aussi à sa disposition, comme certains ministres, un téléphone portable sécurisé. Cet appareil ne possède pas de magasin d’applications et ne fonctionne qu’avec les numéros connectés sur le même réseau, indique à 20 Minutes une source proche du dossier. Mais ce téléphone a l’inconvénient d’être plus lent et moins ergonomique, conduisant les ministres et le président à continuer à utiliser leurs portables personnels.
La solution passerait-elle par des applications chiffrées ? Les ministres et les membres des cabinets sont priés d’utiliser Olvid, une application de messagerie française qui garantit, selon ses créateurs, un haut niveau de sécurité. Mais le rempart le plus sûr, conclut notre source, « c’est que, si c’est secret, ce n’est pas au téléphone ».
« Les plateformes savent qu’elles jouent très gros sur ce point. » Samuel Lafont, directeur de la stratégie numérique de Reconquête