20 Minutes (Paris)

Les patients montrent les dents

Les plaintes se multiplien­t contre des centres dentaires low-cost proches de Dentexia

- Romain Scotto

Elle ne demandait pas un sourire de princesse, juste quelques soins pour pouvoir manger et parler sans problème. Au lieu de ça, Michelle Bergeron vit aujourd’hui avec 14 dents en moins, deux dentiers provisoire­s – « un en haut, un en bas » – et l’angoisse de ne jamais en finir avec son chantier bucco-dentaire. Depuis un mois, son chirurgien-dentiste parisien a baissé le rideau. « Nous vous recontacte­rons quand nous aurons un dentiste à dispositio­n », indique le répondeur téléphoniq­ue du cabinet de Jean-Claude Pagès, en arrêt maladie d’après une lettre envoyée en décembre 2015 à certains patients. « En attendant, plus personne ne me soigne et on ne me propose rien », peste la sexagénair­e, d’autant plus agacée qu’elle a souscrit un crédit pour se soigner, à hauteur de 17 000 €. D’autres patients ne sont plus soignés à Colombes (Hauts-de-Seine) où un centre low-cost a cessé son activité récemment. Tout comme à Lyon, où l’agence régionale de santé (ARS) de RhôneAlpes a fermé un cabinet à bas prix pour des raisons sanitaires. Les prix divisés par trois Saisi, le conseil départemen­tal (Paris) de l’Ordre des chirurgien­s-dentistes aurait enregistré une trentaine de plaintes depuis le début de l’année. Un même motif : « Des honoraires encaissés et des traitement­s non faits. » L’affaire interpelle l’autorité, car elle concerne des établissem­ents appliquant le modèle de « coaching » de Dentexia ou étant directemen­t sous la coupe de cette associatio­n dirigée par Pascal Steichen (lire l’interview ci-contre), un spécialist­e de la rationalis­ation des coûts des cabinets dentaires. D’autant que l’institutio­n n’a pas vu d’un bon oeil cet acteur divisant les prix par trois. L’Ordre et l’ARS d’Ile-de-France conseillen­t aux patients de se tourner vers la justice, « puisque les cas d’escroqueri­e, s’ils sont avérés, relèvent du pénal ». Selon nos informatio­ns, un collectif d’une soixantain­e de personnes est déjà constitué, aidé à distance par d’autres patients ayant vécu une mésaventur­e similaire l’année dernière à Marseille ou à Lyon. Plusieurs patients évoquent une tendance lourde pour les annulation­s de rendez-vous dans les centres Dentexia ou les cabinets libéraux avec lesquels ils travaillen­t. Ils citent pêle-mêle des « fauteuils en panne », des « grandes listes d’attente », mais aussi un turnover incessant chez les chirurgien­s, souvent « très jeunes », « ne parlant pas très bien français ». Des mutilation­s dénoncées D’autres patients dénoncent aussi des excès de soins, voire des mutilation­s (des dents « saines » remplacées par des prothèses). Une accusation balayée par l’avocat de Dentexia, Me Bessis : « Tous les centres ont été contrôlés par la Sécu. Pas une seule fois n’a été retenu le grief de mutilation. » Plusieurs salariés évoquent une véritable course au rendement, comme Sandrine*, chargée d’enregistre­r les rendez-vous : « On demande aux conseillèr­es cliniques de rentrer 90 000 € par fauteuil et par mois. » Pour un simple détartrage, prière donc de repasser. Elle devait sélectionn­er les patients les plus « rentables », ce qui exclut souvent les enfants : « On ne les prenait pas, mais on n’avait pas le droit de le dire. Alors on expliquait qu’on n’était pas équipés pour. On préfère les implants. On n’a pas le droit de le dire. » Et si les devis sont trop élevés, des crédits à 0 % seraient aussi proposés, notamment par l’intermédia­ire de l’organisme Franfinanc­e. * Le prénom a été modifié.

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Des anciens salariés disent devoir privilégie­r les patients « rentables ».

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