Les combats d’Amani Ballour
La première femme à avoir dirigé un hôpital à la Ghouta appelle à l’aide les politiques pour qu’ils fassent cesser les violences à Idlib.
Al-Amal («l’espoir »), c’est le nom qu’Amani Ballour a choisi pour sa fondation. Ce sentiment n’a pas quitté cette Syrienne de 33 ans, qui se bat depuis 2011 pour son peuple. D’abord en tant que pédiatre, puis en tant que directrice d’un hôpital souterrain pendant cinq ans à la Ghouta, ville martyre au sud de Damas. Depuis quelques semaines, c’est en Europe et aux Etats-Unis qu’elle tente de convaincre les puissants pour que les Syriens, notamment à Idlib, ne soient pas laissés à l’abandon.
Qu’est-ce qui vous a aidée à tenir durant les cinq années où vous avez dirigé un hôpital à la Ghouta, ce que l’on peut voir dans le documentaire nommé aux derniers Oscars ?
Au début, j’ai vu des Syriens manifester pour avoir davantage de liberté. Puis le régime de Bachar Al-Assad a tiré sur les manifestants, bombardé les villes. C’était impensable de ne pas aider ces gens.
Dans ce documentaire, on vous voit luttant pour sauver des blessés, sans médicament, sans nourriture. Mais aussi lutter contre le sexisme. Avez-vous dû beaucoup le combattre en Syrie ?
Quand je suis devenue directrice d’hôpital, oui, mais pas avant. Certains me disaient : « Ce n’est pas ton rôle. » Alors c’est devenu mon défi de leur prouver que j’en étais capable. Je devais protéger mon hôpital, les personnels soignants, et prouver qu’une femme peut faire aussi bien ou même mieux qu’un homme. Après deux ans en tant que manageuse, beaucoup d’hôpitaux avaient été détruits, et pas le mien. Alors certains m’ont dit : « Vous aviez raison et vous avez fait du bon boulot. » J’étais si contente, nous avons pu changer les mentalités. C’est pour cela que j’ai voulu créer ma fondation, Al-Amal.
Justement, pourquoi cette fondation ?
Mon objectif est d’aider les jeunes femmes à devenir médecin, surtout dans les régions en guerre, en particulier en Syrie. Si on éduque les femmes, elles pourront travailler, être autonomes.
Vous dites dans le documentaire : « J’ai peur que ce que j’ai vu me hante pour toujours. » Ressentez-vous toujours cette crainte ?
Oui, je n’oublierai jamais tous les enfants que j’ai vus. Je me souviens d’un petit de 5 ans qui m’a demandé : « Pourquoi avez-vous coupé ma main ? » Je ne pouvais pas regarder ces enfants dans les yeux, je me concentrais sur les plaies. Aujourd’hui, je ne peux plus être pédiatre. C’était tellement dur. Mais je peux encore les aider, c’est ce que j’essaie de faire avec cette tournée. J’ai vu tous les crimes, les hôpitaux bombardés, les armes chimiques. J’essaie de rencontrer des politiques, partout, pour parler de la situation en Syrie et des réfugiés. J’aimerais être la voix de ceux qui souffrent.
Ces enfants pourront-ils se remettre de ce traumatisme ?
Je l’espère. On n’a pas pu les protéger de l’horreur. Ils ont vu les cadavres de leurs frères. Comment pourraient-ils s’en remettre, alors que les enfants qui ont survécu à la Ghouta sont aujourd’hui sous les bombes, dans les mêmes circonstances, à Idlib ?
Quel est votre message ici, en Europe ?
Que des êtres humains sont en train de souffrir, de mourir, ils n’ont nulle part où aller. Ils ont besoin d’aide. Ils ont le droit de vivre, de chercher un autre avenir. Nous voulons aussi la justice, que ceux qui ont tué, bombardé soient jugés. Mais je ne suis pas sûre que cela arrivera.
Que savez-vous de la situation actuelle à Idlib ?
Mes collègues sur place manquent de tout. Ils n’ont ni médicament ni couverture. Ils rêvent d’avoir une tente. Sept bébés sont morts de froid. Les hôpitaux sont bombardés. Ils n’ont plus aucun espoir.
Qu’espérez-vous pour la Syrie ?
Mon rêve, aujourd’hui, est de sauver ces personnes en train de mourir, de leur trouver un endroit sûr pour vivre. Tous les Syriens rêvent que les combats cessent et qu’ils puissent rentrer chez eux. Nous avons déjà un million de déplacés. S’ils n’arrêtent pas les bombardements, nous verrons encore davantage de catastrophes.
« Je n’oublierai jamais tous les enfants que j’ai vus. » « Nous voulons que ceux qui ont tué, bombardé soient jugés. »