20 Minutes (Paris)

L’écrivaine Claire Touzard a su rompre avec l’alcool

Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société

- Propos recueillis par Armelle Le Goff

Remplir un vide. S’extraire du monde. Pendant longtemps, Claire Touzard s’est alcoolisée avec l’objectif de chercher une liberté qu’elle considère aujourd’hui, à 38 ans, comme une illusion qui l’a abîmée. C’est avec la décision de sa sobriété que commence son journal (lire l’encadré), qui explore son rapport à l’alcool. Le mois de janvier est marqué par la possibilit­é de faire le Dry January. Pensez-vous que cela peut aider à faire le point sur sa consommati­on d’alcool ? J’ai toujours été en faveur du Dry January, parce que cela permet de nous questionne­r sur notre consommati­on d’alcool. Personnell­ement, je ne l’ai jamais fait. Avant d’arrêter définitive­ment, je n’ai jamais réussi à arrêter. Je buvais tous les jours ou quasi, et depuis longtemps. Je suis issue d’une famille où l’alcool est très présent, très festif. Petit à petit, je me suis auto-intoxiquée.

Vous expliquez que, en buvant, vous aviez le sentiment de devenir une superhéroï­ne…

Quand on est une femme et que l’on boit, on est moins présentabl­e, moins lisse et moins docile que ce que l’on attend de nous. Je pense que beaucoup de femmes s’alcoolisen­t pour cette raison. A 20 ans, j’ai pris l’alcool comme une arme de puissance. Sans doute que, dans mon esprit, de façon inconscien­te, l’alcool était associé au masculin. Les personnage­s de série cool boivent, boivent trop. Leur force et leur indépendan­ce sont associées à l’alcool. Cette image de l’émancipati­on associée à l’alcool est évidemment fausse. En buvant, on cherche à mettre un filtre entre nous et la réalité, on cherche à transcende­r le quotidien. Mais la réalité nous rattrape toujours et, entre-temps, on s’est bien abîmé.

Vous écrivez que votre alcoolisme avait à voir avec un refus de votre genre. C’est-à-dire ?

Jeune, j’étais androgyne, sportive et tournée vers l’intellect. Et j’avais du mal avec le fait d’être une femme. J’ai été anorexique, et l’alcool a suivi pour me maltraiter un peu plus. J’ai découvert, en rencontran­t Fatma Bouvet de la Maisonneuv­e, qui est psychiatre et addictolog­ue à l’hôpital Sainte-Anne [à Paris], que c’est un parcours fréquent. En tant que femme, on est soumise à beaucoup d’injonction­s, et l’alcool permet soit d’exprimer notre colère, soit de nous éteindre.

Comment avez-vous mis le doigt sur votre problème d’alcool ?

Le déclic a été de voir le regard de mon conjoint sur moi quand j’étais bourrée, lors d’une fête le 31 décembre 2019. J’ai compris que j’étais sur le point de le décevoir, et peut-être de le perdre. Le lendemain, j’ai décidé

d’arrêter l’alcool.

Qu’est-ce qui change avec la sobriété ?

Arrêter l’alcool, c’est repenser son rapport à l’autre. En étant alcoolisé, on montre une partie de soi qui n’est pas soi, en ce qui me concerne en tout cas. Donc, en arrêtant l’alcool, il faut remettre les choses en place avec les autres. Avec les images du passé, les violences et les ruptures que cela a pu engendrer, qui reviennent aussi. Une fois que l’on a passé ce cap, les relations avec les autres n’en sont que meilleures. Cela permet d’avouer qu’on est bien avec quelqu’un comme on est vraiment.

Néanmoins, vous racontez qu’annoncer à votre entourage que vous arrêtiez l’alcool n’a pas toujours été bien reçu…

Quand on arrête l’alcool, on tend un miroir à l’autre sur sa propre consommati­on. Souvent, cela fait mal. On est dérangeant, parce qu’on devient spectateur de l’ivresse des autres. Cela nécessite beaucoup de dialogues avec ses proches.

L’alcool, ditesvous, est une sorte de norme, associée au fait de bien vivre…

Le cool, c’est l’alcool. On ne nous laisse pas le choix. En ce sens, c’est une norme. On est soumis à une obligation inconscien­te de boire pour appartenir au groupe, pour faire partie de la fête. Mais ce n’est pas si drôle de boire. Il y a vraiment une croyance populaire à remettre en question et un héritage culturel, qui va des écrivains à Gainsbourg.

La sobriété, c’est un autre rapport au monde ?

La sobriété, c’est s’autoriser à être éveillé par rapport à nousmême et au monde qui nous entoure. Mais il nous manque des exemples de gens qui parlent de sobriété de façon positive. Aujourd’hui, je trouve la sobriété assez subversive.

A la fin de votre livre, vous évoquez la possibilit­é de reprendre l’alcool avec parcimonie. Est-ce toujours le cas, aujourd’hui ?

Non, plus maintenant. Je n’ai plus envie de revenir en arrière. L’alcool ne me manque pas. Et je n’ai plus envie de prendre ce risque. Aujourd’hui, j’ai une vie que j’aime sans alcool.

« L’alcool, c’est le cool. On ne nous laisse pas le choix. » « Aujourd’hui, je trouve la sobriété assez subversive. »

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 ??  ?? Claire Touzard, 38 ans, raconte, dans un livre, sa décision d’arrêter de boire.
Claire Touzard, 38 ans, raconte, dans un livre, sa décision d’arrêter de boire.
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