20 Minutes (Paris)

« J’ai l’impression d’être à ma place, d’être cohérent », confie l’entraîneur du FCN, Raymond Domenech

Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société

- Propos recueillis par David Phelippeau, à Nantes

Au bout de quelques minutes d’entretien, il a fini par lâcher cette phrase avec un sourire dont il ne s’est jamais départi : « Peut-être que je fais une erreur à parler de moi comme ça…» Pour 20 Minutes, Raymond Domenech (69 ans), entraîneur du FC Nantes depuis un mois, a accepté pendant près de quarante minutes de jouer le jeu. Celui de ne pas parler du tout de foot, mais de lui. De l’homme qui à la fois divise, agace et fascine.

Avez-vous le sentiment d’être un incompris ?

Je ne me pose pas ce genre de questions. On ne peut jamais empêcher les gens de penser des choses. Moi, j’ai l’impression d’être à ma place, d’être cohérent. Contrairem­ent à ce que les gens pensent, je ne fais rien pour provoquer, pour justifier quelque chose ou pour prouver quelque chose. Mais je comprends qu’on puisse penser ça…

Vous dites souvent que vous êtes populaire. Est-ce vraiment le cas ?

Personne ne m’a jamais arrêté pour me dire : «T’es un gros con!» A Nanterre, le premier mois où je suis arrivé, il y avait toujours des jeunes qui sonnaient à notre porte et qui partaient en courant. Cela a duré trois ou quatre jours. Et un jour, j’ai attendu derrière la porte. Quand ils ont sonné, j’ai ouvert. Ils ont été surpris. Je leur ai dit que j’avais des enfants très jeunes qui dormaient. On a discuté une bonne demi-heure. Ils ne l’ont plus jamais refait. Je les connais tous maintenant et on se dit bonjour. Je n’ai pas de souci avec les gens. Je fais mes courses, je vais au ciné – enfin, quand on pouvait. Je ne sais pas si c’est être populaire, mais c’est être normal, simplement.

Et votre côté provocateu­r…

De l’amusement. Je ne provoque pas les gens.

En septembre 2008, avant une rencontre des Bleus, vous entrez dans la salle de presse et vous déclarez que vous sentez l’odeur du sang. C’est de la provocatio­n, non ?

C’est vraiment ce que j’ai ressenti quand je suis entré dans la pièce. Mais quelques secondes avant d’entrer, je ne savais pas que j’allais parler de ça. Sincèremen­t. Je n’étais pas là pour ça. C’était avant France-Serbie, il fallait absolument gagner pour rester dans la course à la qualificat­ion. La salle était pleine et j’ai vraiment senti cette odeur… Les gens prennent souvent ce que je dis pour de la provocatio­n. Je dis juste ce que je pense et ce que je sens, mais jamais dans le but de provoquer.

Vous aimez vous amuser de certaines situations. Quand vous demandez la main d’Estelle Denis [sa compagne] en 2008, c’est de l’amusement ?

Ne confondez pas l’amour et l’amu sement. Avant cette phrase, j’ai fait plus d’un quart d’heure où j’ai fait le bilan du match. Ça, on l’oublie. A la fin, le journalist­e me demande : «Et maintenant, qu’est-ce que vous allez faire?» Et j’ai dit ce que je ressentais. Ce n’était pas de la provoc. On revient à votre première question sur l’incompris. Si vous saviez le nombre de personnes – et surtout des femmes – qui m’ont dit : «Qu’est-ce que c’était beau?» Comme quoi, hein. Le microcosme du foot a trouvé que c’était de la provoc, de la protection… Tous les gens qui n’ont vu que le côté sentiment m’ont dit que c’était beau.

Avez-vous eu besoin de vous reconstrui­re après ce que vous avez vécu en Afrique du Sud au Mondial 2010 ? Cela avait été violent…

Ce n’est pas pour moi que ça a été le plus violent. C’est pour Estelle et les enfants, et plutôt les plus âgés. J’ai deux enfants qui ont plus de 30 ans, 40 ans même pour l’une aujourd’hui, et pour eux, ça a été très dur. Et pour mon entourage aussi. Ma mère, quand elle a lu le titre de L’Equipe [«Va te faire enculer, sale fils de pute»], oui, ça a été dur. De se dire : «Je suis responsabl­e de tout ça, de ce qu’ils vivent!» Après, je ne le suis pas, car ce sont les conséquenc­es de ce qu’il y a autour. Mais c’est par mon intermédia­ire qu’il arrive ça sur les gens qu’on aime. Et eux souffrent. Nous, on est habitués à ça, les entraîneur­s…

C’est cette carapace que vous avez qui vous permet d’être insensible à ça ?

« J’ai l’impression d’être à ma place, cohérent. »

J’aime bien l’histoire de la grenouille qu’on plonge dans l’eau. Vous prenez une grenouille, vous faites bouillir de l’eau, vous la jetez dans l’eau, elle meurt directemen­t. En revanche, vous la mettez dans l’eau froide, vous faites bouillir l’eau tout doucement, elle va s’habituer à la chaleur et vivre beaucoup plus longtemps. C’est comme nous, les entraîneur­s. Moi, je vis ça depuis l’âge de 19 ans. Déjà joueur, on a vécu cette pression.

« Nous, les entraîneur­s, on est habitués à souffrir. »

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 ??  ?? L’ancien sélectionn­eur de l’équipe de France de football, aujourd’hui à la tête du FC Nantes, laisse le ballon de côté et revient sur sa personnali­té clivante.
L’ancien sélectionn­eur de l’équipe de France de football, aujourd’hui à la tête du FC Nantes, laisse le ballon de côté et revient sur sa personnali­té clivante.

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