20 Minutes (Paris)

L’expert Johnatan Uzan pointe les failles de la cybersécur­ité

Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société

- Propos recueillis par Claire Planchard

Entreprise­s, hôpitaux, collectivi­tés locales… Depuis le début de la crise du coronaviru­s les cyberattaq­ues se multiplien­t. En 2020, 192 attaques par « rançongici­el» ont été répertorié­es en France, contre 54 l’année précédente, selon l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’informatio­n (Anssi). Mais ce n’est que la «petite partie émergée et la moins dure de l’iceberg », explique Johnatan Uzan, directeur du centre d’expertise cybersécur­ité de BCG Platinion Europe.

Le patron de la banque fédérale américaine, Jerome Powell, a déclaré être plus inquiet du risque d’une cyberattaq­ue à grande échelle que d’une crise financière mondiale semblable à celle de 2008. S’agit-il du risque essentiel pour l’économie et les entreprise­s?

Malheureus­ement, oui. Des Etats se sont armés, et continuent de le faire, pour conquérir le cyberespac­e, un enjeu stratégiqu­e depuis une vingtaine d’années. Il semblait dès lors assez inévitable qu’il y aurait des fuites vers des groupes criminels qui muteraient en groupes cybercrimi­nels. Etre à la tête d’un réseau de proxénétis­me ou de vente de stupéfiant­s dans trois pays demande une structure opérationn­elle organisée, des réseaux de blanchimen­t complexes, et fait prendre beaucoup de risques. Mais lorsque vous attaquez une entreprise en envoyant des rançongici­els, que vous utilisez une monnaie intraçable pouvant être blanchie facilement et rebasculée sur des comptes à l’autre bout du monde et que, pour faire tout cela, il ne vous faut que six ou sept personnes, le calcul est vite fait. D’autant que les sanctions pénales ne sont pas encore les mêmes que pour la grande criminalit­é.

Et ce ne sont pas les seuls risques…

Il faut aussi évoquer celui du cyberespio­nnage qui, au niveau européen, n’est pas assez surveillé. Et celui, effrayant, du cyberterro­risme, encore inexistant en France et à très bas bruit dans le reste du monde.

Lors d’une récente conférence de l’Observatoi­re BCG de la nouvelle réalité, vous expliquiez que le « responsabl­e sécurité de n’importe quelle entreprise est aujourd’hui confronté à des armements militaires conçus par des Etats pour attaquer des Etats » ? Comment en est-on arrivés là ?

Au même titre que les Etats fabriquent leurs propres avions de chasse ou leurs tanks, ils ont naturellem­ent développé leurs propres armements cybernétiq­ues. Sans toujours pouvoir se mettre à l’abri d’éventuelle­s fuites de ces nouvelles armes, facilement copiables, partageabl­es parfois avec une simple connexion Internet. Des groupes ont pu utiliser ces fuites pour en faire le «coeur stratégiqu­e d’une nouvelle économie criminelle». Moins regardés, mais tout aussi importants, les groupes de recherche en sécurité de l’informatio­n publiant publiqueme­nt, et tout à fait légitimeme­nt, leurs travaux. Si vous savez suivre les bons groupes de recherche et si vous connectez les travaux les uns avec les autres, alors vous serez rapidement en capacité de créer la prochaine arme numérique.

La crise sanitaire actuelle a-t-elle accéléré le processus?

Clairement. La crise du Covid-19, avec le télétravai­l et le confinemen­t, a forcé la digitalisa­tion d’une façon phénoménal­e. On ira vers de plus en plus de digitalisa­tion, de plus en plus de surface d’attaques et de plus en plus d’attaques. Cela sera renforcé par le développem­ent des IoT [Internet of things], comme les montres connectées, qui sont autant d’outils permettant de réaliser des attaques, de monitorer des données.

On entend beaucoup parler aujourd’hui des attaques par des logiciels de rançon…

Le rançongici­el, c’est une petite criminalit­é. C’est la petite partie émergée et la moins dure de l’iceberg. Le danger, c’est tout ce qu’on ne voit pas. Quand un groupe criminel ou un groupe d’espionnage adossé à un Etat pénètre une organisati­on, son but est de rester silencieux le plus longtemps, d’être le moins identifiab­le possible pour exfiltrer les données et, littéralem­ent, dupliquer une entreprise, ses savoir-faire, mettant en péril les emplois de demain en France et en Europe. Nous ne surveillon­s pas assez l’espionnage économique, et cela sera sans doute l’une des grandes déconvenue­s de ces prochaines années. Nous devons nous adapter.

«Les Etats ont développé leurs propres armes cybernétiq­ues.»

« Nous ne surveillon­s pas assez l’espionnage économique. »

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Le cyberespac­e est devenu «un enjeu stratégiqu­e depuis une vingtaine d’années», rappelle l’expert en cybersécur­ité Johnatan Uzan.

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